Interview de Nasser Larguet (formateur et entraîneur) réalisée par @jurisportiva
par Abel Audoux | 29, Juin, 2022
Son visage vous dit probablement quelque chose. Il a été l’entraîneur par intérim de l’OM la saison dernière, remplaçant André Villas-Boas. Il s’agit du technicien marocain Nasser Larguet, ancien Directeur du Centre de Formation de l’Olympique de Marseille, aujourd’hui Directeur Technique National de l’Arabie Saoudite. Le marocain de naissance, qui réalise un travail formidable, a gentiment accordé une longue, passionnante et sincère interview à la rédaction Jurisportiva dans laquelle il revient notamment sur son parcours, sa vision de la formation dans le football, les faits marquants de sa carrière d’entraineur, les raisons de son départ de l’OM mais aussi ses projets futurs.
Je suis chagriné quand je dois m’assoir à la table avec des familles de petits de douze, treize ans pour parler d’argent et négocier des primes de salaires que le petit touchera lorsqu’il aura seize ans alors que personne n’est capable d’entrevoir le niveau qu’il atteindra le moment venu.
Nasser Larguet
Bonjour. Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours professionnel ?
Bonjour. Je suis Nasser Larguet, formateur avant tout et ensuite entraîneur. J’exerce ce métier depuis 37 ans. J’ai commencé au sein de clubs amateurs auprès de jeunes, puis en clubs professionnels.
J’ai commencé à entraîner à l’ES Thury-Harcourt en parallèle de mes études en pharmacie, puis en microbiologie et enfin en tant que professeur de mathématiques et sciences naturelles au sein d’un collège. Par la suite, je suis entré dans le monde du football professionnel à Rouen en 1989 où j’ai exercé six ans, puis trois ans à Cannes, trois autres à Caen, cinq ans au Havre AC et enfin trois années au RCS Strasbourg.
À l’issue de ces expériences, j’ai été choisi pour mettre en place le projet du Roi au Maroc, l’Académie de football Mohamed VI. Ce poste m’a permis de poursuivre pendant cinq ans en tant que Directeur Technique National (DTN) de ce pays.
De retour en France en 2019, j’ai eu la chance d’être choisi pour être Directeur du Centre de Formation de l’Olympique de Marseille. Au cours de cette expérience, j’ai vécu une courte période d’entraîneur par intérim durant un mois entre A.Villas Boas et J. Sampaoli.
J’ai depuis décidé de quitter mes fonctions de directeur de la formation à l’OM. Je suis désormais Directeur Technique de l’équipe d’Arabie Saoudite.
Pourriez-vous nous décrire la fonction de DTN ?
Je peux seulement vous confier ma vision de DTN, fonction que j’ai exercée lorsque j’étais au Maroc.
Il y a selon moi trois volets intimement liés :
Premièrement, le développement de la pratique dans le pays, passant par tous les âges et genres, dans les écoles de football, au département et à la région ainsi qu’au sein de l’éducation nationale.
Deuxièmement, la formation des cadres de football, qu’ils soient préparateur physique, entraîneur des gardiens, des enfants de 6 à 10 ans, de la pré-formation, formation, post-formation ou encore des éducateurs professionnels. C’est un domaine clé car ce sont ces éducateurs qui formeront à leur tour les jeunes et les aideront à se développer afin qu’ils atteignent le cap de l’équipe nationale.
Troisièmement, l’équipe nationale. C’est la résultante de tout ce travail qui a été fait en amont pour que l’on puisse jouer les compétitions continentales et mondiales allant de la catégorie U17 à sénior.
Et le métier de Directeur de Centre de Formation ?
Il existe deux types de Directeurs de Centre de formation, celui qui s’occupe uniquement du technique, des éducateurs, des équipes, de la formation et de la méthodologie et celui qui s’occupe de l’ensemble du projet. Je penche plutôt dans cette deuxième situation car pour moi il n’y a pas que le football. Et ce, d’autant plus que l’on accompagne les joueurs de plus en plus jeunes, à partir de douze – treize ans.
De fait, pour moi, le projet s’articule sur trois piliers.
Tout d’abord l’éducation. Pour ce faire, je dispose d’un certain nombre de ressources humaines avec des personnes qui travaillent sur l’hébergement, la restauration, le suivi lorsque les garçons retournent chez leur parent, des actions socio-éducatives. Ce dernier point me paraît très important aujourd’hui dans le monde dans lequel on vit, l’objectif est vraiment de recréer des valeurs autour de l’éducation.
Ensuite, une partie scolaire que je délègue à deux collaborateurs qui accompagnent les jeunes dès seize ans jusqu’au bac et post bac.
Enfin, le football qui se subdivise lui même en trois axes : le médical où nous sommes en collaboration avec les médecins en permanence ; la cellule de recrutement, c’est la base d’informations qui nous permet de recruter les meilleurs jeunes dans l’objectif que ces derniers fassent de leur passion un métier et ; l’entraînement qui comprend la méthodologie, le suivi des joueurs, leur performance, etc. Nous faisons également appel à des analystes vidéos, on utilise la data, etc.
Mon rôle dans cet ensemble est de veiller à ce que le projet que l’on présente au jeune soit bien ficelé concernant ces trois phases scolaire, footballistique et éducative.
Comment expliquez-vous cette vocation pour la formation des jeunes ?
Je suis intimement convaincu que lorsqu’on arrive en professionnel, nous sommes des utilisateurs des joueurs et le plus dur est de les faire fonctionner ensemble.
Moi ce qui m’anime c’est de détecter un jeune et de l’inclure dans un projet structurant. Et ce jeune, j’ai envie de l’aider à se construire en tant qu’homme. Si cet homme devient professionnel alors tant mieux et s’il ne finit pas professionnel, il deviendra, à minima, un citoyen accompli.
Cette mentalité je l’ai acquise dès mon plus jeune âge par mes parents qui m’ont éduqué de cette façon. Cette pédagogie je l’ai aussi apprise en tant qu’enseignant, où j’ai été plongé dans l’apprentissage. Aujourd’hui, malgré mon âge, j’ai toujours envie de donner aux autres.
Comment accompagnez-vous les joueurs pour l’après football ?
Tout d’abord, nous présentons un projet clair au joueur dès le départ.
Mentalement, il sait à quoi s’attendre et c’est plus facile. Il est vrai que souvent, lorsqu’on arrive dans le milieu du football on a tendance à croire que cela se résume à un rectangle vert, ce n’est pas le cas.
Cela débute dès le recrutement, où je demande aux éducateurs de connaître personnellement le joueur.
Lorsqu’il y a un très bon jeune, son niveau est connu de tous, par contre, ce qu’il a dans sa tête, son corps, nous ne savons pas. Ainsi, lorsqu’un recruteur me présente un joueur, j’ai envie et besoin de savoir comment il se comporte avec ses partenaires, dans son quartier, à l’école. S’il est défaillant dans l’un de ces domaines, ce n’est pas pour cela que je ne vais pas le recruter. Simplement, en amont, je mettrai en place un accompagnement sur mesure qui prendra en compte tous les facteurs.
Le premier accompagnateur c’est l’éducateur, il doit être à l’écoute du joueur et lui laisser un temps de parole. Souvent, l’entraîneur pense avoir la science infuse et se contente parfois de constater que le joueur n’a pas bien réalisé tel ou tel geste technique. Or, il faut écouter le joueur, comprendre pourquoi il n’a pas réussi son centre, sa passe ou son tir. Pourquoi ce jour-là n’était-il pas bien ? L’acte moteur sur le terrain dépend de ce qui se passe dans sa tête et son corps.
C’est pour cela qu’à Marseille, il y a une psychologue qui intervient sur l’environnement du jeune, ce qui leur permet d’exprimer, au besoin, leurs problèmes. Je demande systématiquement aux psychologues d’aller à la rencontre des joueurs plutôt que de les attendre dans leur bureau.
Par ailleurs, il y a également un préparateur mental sur le terrain, qui observe le comportement des joueurs mais aussi la relation qu’ils ont avec l’entraîneur afin de déterminer s’ils sont compatibles.
Lorsque je m’adresse à une vingtaine de joueurs, ils sont tous unique, donc l’objectif est d’entrevoir l’angle d’attaque que j’utiliserai afin qu’ils restent tous concernés et concentrés. Le préparateur mental permet de faciliter ces échanges, il s’occupe de faire les débriefs pour le joueur mais également pour l’éducateur. Selon moi, il a un rôle tout aussi important que le préparateur physique.
Un faible pourcentage de jeunes issus du centre de formation accéderont au circuit professionnel. Comment l’Olympique de Marseille facilite ce possible retour à la vie quotidienne ?
Nous les prévenons dès leur entrée dans le centre de formation, qu’ils ont autant de chance de réussir que d’échouer. Pour accéder au haut niveau il y a plusieurs paliers à franchir, notamment la croissance, l’apprentissage, l’adolescence et la découverte de la vie.
Autrement dit, il y a pleins de choses qui rentrent en ligne de compte que nous ne pouvons pas maîtriser.
Tout ce que l’on peut faire c’est les avertir : « Si vous êtes ici c’est qu’à l’instant T, vous avez tous le potentiel pour intégrer l’équipe professionnelle, mais pour cela, il y a encore beaucoup d’ingrédients à ajouter ».
Jouer pour l’Olympique de Marseille chez les professionnels, cela veut dire que vous jouez pour les deux premières places du championnat, la Champion League, devant soixante cinq milles spectateurs, ce n’est pas quelque chose de facile. C’est une certaine pression.
Le discours que nous tenons auprès des jeunes consiste à dire que s’ils ne réussissent pas en tant que joueurs de football, ils réussiront ailleurs et que nous mettrons tout en œuvre pour qu’ils réussissent leur vie d’homme, qu’elle passe par le ballon ou par un autre chemin. C’est pour cela que pour nous, l’objectif principal ce n’est pas le football mais l’éducation, vient ensuite la scolarité et enfin le football.
Nous les encourageons à poursuivre leurs études au moins jusqu’au bac, tout en les avertissant aussi que le bac n’a jamais donné de métier à personne. Nous les préparons pour un avenir professionnel car la réussite dans le football nécessite au-delà du talent et du travail, un petit peu de chance.
Par exemple, j’ai eu le petit Bamba Dieng lorsque j’étais intérimaire, joueur que je connaissais déjà du Centre de Formation et j’ai pu lui faire découvrir la Ligue 1. Aujourd’hui, il fait le bonheur du club et des supporters. Donc la partie « chance » est importante.
Ainsi, nous leurs rappelons de mettre le paquet sur le volet scolaire, sans cela, leur vie future peut s’avérer compromise. Et même dans le cas où ils réussissent en tant que professionnel ou ailleurs, ils vont arrêter leur carrière entre 28 et 37 ans. Mais après, de 35 à 65 ans, ils vont faire quoi ?
Il est important de tout mettre en œuvre, dans le discours et par les actes, pour justement les préparer à une non-accession dans le monde professionnel. Et même s’il y a le football, les préparer à autre chose pour l’après carrière. À Marseille, l’avantage c’est qu’il y a depuis cette année deux référents scolaires ayant une formation spécifique afin d’être capable de proposer des bilans de compétences aux joueurs.
Quels étaient vos objectifs en début de saison en tant que Directeur du Centre de Formation de l’OM ?
Ils étaient simples, premièrement : savoir quels sont les joueurs que je ferai passer dans le groupe professionnel?
Ensuite, l’objectif était que d’ici là fin de saison, il n’y ait aucun regret que ce soit côté joueur ou pour moi. C’est pour cela que je demande aux éducateurs que l’on fasse des bilans tous les trimestres. Ces bilans se font à la fois sur le plan scolaire et sportif.
Au niveau sportif, nous détaillons sur le plan technique, tactique, physique et mental sur une grille de notation très basique : très bon, bon, moyen, insuffisant. Dans le football et dans la scolarité, nous évaluons le niveau mais aussi le comportement. Vous pouvez être très bon en comportement et très moyen en football ou inversement. Donc nous essayons de dire aux jeunes : « Sur le plan technique tu es moyen car ton contrôle doit être amélioré sur tel ou tel point ».
Puis l’éducateur doit être capable de dire sur les prochains trimestres les axes d’améliorations du joueur. Ces notations permettent d’évaluer mon travail et celui de mes éducateurs. Si je vois qu’un ensemble de joueurs sont moyens, moyens, moyens, c’est que je n’ai pas atteint mon objectif. Dans tous les cas, l’objectif est vraiment qu’il n’y ait aucun regret de part et d’autre.
Mais la finalité c’est de se dire, combien de joueurs j’ai fourni pour les équipes nationales jeunes, combien de joueurs j’ai fourni pour l’équipe professionnelle et combien ont eu le bac ? Pour le moment, la réussite au baccalauréat est de 100 % depuis que je suis là. Il y a deux ans, au plus fort de la pandémie, j’avais six joueurs en bac scientifique. Sur ces six, ils ont tous eu la mention très bien dont un qui n’a pas été conservé et qui a réussi sa première année de médecine haut la main.
À titre personnel, que ressentez-vous lorsque vous voyez éclore un joueur que vous avez formé ?
Tout simplement la satisfaction du devoir accompli. Je suis payé pour ça, je suis là pour ça.
À contrario, c’est plutôt de la frustration que j’aurais de ne voir aucun joueur réussir plus haut.
Lorsqu’un joueur est appelé pour la première fois en professionnel, c’est un sentiment très étrange que je ressens. Je me connais, je suis dans un état de fébrilité avancée.
J’appréhende ce moment où il va toucher son premier ballon, comment va-t-il réussir, se comporter ?
Dieu merci pour le moment, dès que l’on a lancé un joueur au niveau professionnel, même ceux très jeunes de dix-sept, dix-huit ans, ils ont tous réussi.
Existe-il des approches différentes selon les centres de formation ?
Oui bien-sûr. Il y a des centres qui sont très axés sur la région et on y ressent un esprit très familial comme à Rouen ou au SM Caen. Nous allions chercher les joueurs de la région, rarement plus loin, et ça réussi.
Il y a d’autres clubs qui eux ont un niveau de recrutement avec des moyens très élevés comme le Havre AC, l’AS Cannes à l’époque ou encore l’Olympique de Marseille aujourd’hui. C’est un recrutement permettant d’aller chercher des futurs internationaux ou tout au moins de très grands profils.
Ensuite au niveau du travail, il est assez semblable où que l’on soit même s’il existe des caractéristiques différentes selon les régions.
Par exemple, dans le sud, les jeunes sont extrêmement techniques mais n’aiment pas trop faire d’efforts physiques. Dans le nord, ce sont des garçons qui sont parfois un peu moins « agiles » avec leurs pieds mais sont généreux dans l’effort, puissants et de grandes tailles. Selon les régions, il y a donc des caractéristiques et des philosophies différentes.
Quelles sont les différences entre diriger un Centre de Formation et l’Académie Mohamed VI?
Quand j’ai commencé à diriger l’académie, c’était vraiment le début. J’avais recruté des jeunes qui à l’ouverture en 2009 avait entre quinze et dix-sept ans. Par la suite, nous avons élargi aux garçons de treize à dix-huit ans. C’était très “naturel”, ils n’étaient pas pollués par la course aux statuts (stagiaire, professionnel, accord de non sollicitation, etc).
Leur fierté c’était de parvenir à une structure de très haut niveau dans laquelle ils allaient exercer leur passion et être pris en charge au niveau scolaire, médical, alimentaire, de l’hébergement, etc.
Nous étions beaucoup plus axé football que l’on ne l’est aujourd’hui en France.
J’ai le regret de constater qu’en France, on s’éloigne du terrain, du vrai football. Souvent les joueurs de talents, ceux avec un vrai potentiel, représentent pour leur entourage le jackpot. Et donc, on entre tout de suite dans des questions de statuts, primes, contrats et on perd d’objectivité vis-à-vis du potentiel du joueur. Qu’est que l’on doit améliorer chez lui ? Comment l’emmener au haut niveau ? Ce sont des questions oubliées. Alors qu’au Maroc, il n’y avait pas tout ça lors de mon passage à l’académie. Alors certes, c’était le début, peut-être que dans une vingtaine d’années on y arriva également mais aujourd’hui la grosse différence est là.
Comment percevez-vous l’évolution de la formation en France?
On s’éloigne du terrain malheureusement.
Les joueurs se comparent les uns aux autres au lieu de se comparer à eux-même. Qui suis-je aujourd’hui ? Qui vais-je être demain ? Qu’est que je dois améliorer pour atteindre mon objectif ?
Je suis chagriné quand je dois m’assoir à la table avec des familles de petits de douze, treize ans pour parler d’argent et négocier des primes de salaires que le petit touchera lorsqu’il aura seize ans alors que personne n’est capable d’entrevoir le niveau qu’il atteindra le moment venu.
Ces accords de non sollicitation créent une vraie problématique.
Et puis, l’environnement des joueurs est extrêmement compliqué aujourd’hui. On l’a vu avec le directeur du centre de formation de Rennes qui s’est fait agressé par un parent de joueur, ce qui a obligé le joueur à se désolidariser de son papa. Le club a de son côté dû fermer trois jours le centre de formation. Nous sommes malheureusement plus dans ce qui fait le charme du football et de la formation.
C’est un immense problème, nous sommes passés de l’ère sportive à l’ère économique. Et même les clubs participent à cette nouvelle ère avec la politique de trading en achetant des joueurs de dix-huit, dix-neuf ans pour les transférer rapidement à vingt-un, vingt-deux ans. Je ne suis pas contre ces méthodes mais il faut que ce soit bien fait et proprement. Sinon, je ne suis pas en phase avec cela.
Comment contrebalancer ces évolutions ?
Déjà, il faut que tous les clubs et les centres de formations se mettent d’accord pour qu’il soit hors de question de parler d’argent avec des enfants de douze à quatorze ans. Il faut que tout le monde joue le jeu sans utiliser des accords sous seing privé qui sont d’ailleurs illégaux.
Faisons en sorte de laisser ces enfants jouer au football et que l’on revienne aux fondamentaux.
Il faut ensuite que les instances fédérales, que ce soit les fédérations ou ligues , suppriment les accords de non sollicitation. Éventuellement, les remplacer par des conventions de préformation à l’image des conventions de formation où l’on s’occupe de la scolarité, du médical, de l’entraînement, du transport et de l’hébergement mais indépendamment de tout notion d’argent.
Il faudrait commencer à négocier des salaires qu’à partir de seize ou dix-sept ans mais pas avant.
Aujourd’hui, nous sommes en train de nous tirer une balle dans le pied. Nous perdons beaucoup de joueurs. Quand je regarde les statistiques sur les quinze joueurs qui sont nés en 2006 ici à Marseille, à qui on avait fait signer des accords à l’âge de treize ans, qui se transforment en contrat aspirant aujourd’hui, sur les quinze, à l’instant T, un seul joueur est éligible à ce contrat.
On a été pressés de donner un contrat à des joueurs qui malheureusement n’ont aujourd’hui pas le niveau suffisant. De fait, nous nous retrouvons obligés de négocier avec les familles afin qu’elles récupèrent leur enfant avec l’assurance que l’on payera l’année ou les deux années de contrats qu’ils restent aux jeunes. C’est pour moi un exercice qui est très dur car c’est une passion qu’ils sont venus chercher ici.
Le football est ainsi fait, c’est le haut niveau. Quand on ne peut pas et bien on ne peut plus. Il faut être honnête et objectif en disant, certes il lui reste une ou deux années de contrat mais sachez qu’il ne va pas s’épanouir et le mieux pour lui c’est qu’on lui paye son contrat. Cela revient à licencier un enfant de seize ans, c’est très pervers. Cet exercice me déplaît.
Que pensez-vous de la réglementation FIFA relative aux transferts de joueurs mineurs ?
Je pense que le règlement offre un minimum de protection parce qu’aucun transfert n’est permis pour les pays hors européen avant dix-huit ans et en Europe, seize ans. Il faudrait permettre à chaque continent d’autoriser les transferts à partir de seize ans entre pays africains, asiatiques ou sud-américains.
Mais dans l’ensemble, je trouve cette réglementation correcte, elle protège quand même un petit peu les jeunes car partir très tôt de chez soi pour aller jouer au football est, comme tout autre sport, assez aléatoire. On peut être apprécié dans un club et pas dans un autre. Donc, la régulation et la réglementation sont nécessaires. Après, est-ce qu’il faut que cela change ? Je ne suis pas juriste pour pouvoir en parler.
Par contre, il est je pense important de revoir la valeur des indemnités pour deux raisons.
Premièrement car les clubs qui sont dans des continents dont les pays n’ont pas beaucoup de moyens en termes humain, financier ou d’infrastructures, doivent être indemnisés fortement et non lésés lorsqu’ils transfèrent un jeune joueur talentueux.
La deuxième idée, c’est que les clubs qui ont investis dans la formation de joueurs soient aussi protégés car aujourd’hui un jeune qui est en fin de contrat à dix-huit ans, il peut être transféré vers un autre club pour la somme de 250.000 – 300.000 €. Or, pour un club de très haut niveau, même 500.000 € ce n’est rien du tout. Donc à un moment donné, il faut que ces indemnités soient dissuasives afin de retarder le moment où le joueur quitte son club formateur. L’âge de vingt-deux, vingt-trois ans pour un premier transfert est bien plus raisonnable. Il faut donc travailler sur la valeur des indemnités de formations.
Que pensez-vous du développement des académies liées à des clubs européens sur les terres africaines et sud-américaines principalement ?
C’est une bonne chose que les clubs aillent installer des centres de formation en Afrique ou sur d’autres continents à la condition qu’ils fassent un vrai travail de formation et non pas qu’ils aient l’objectif de faire du nombre pour espérer sortir un joueur. La bonne façon de faire est de former quelques joueurs et que les meilleurs viennent en Europe tandis que les autres alimentent le football local permettant ainsi d’élever le niveau local. Donc c’est une méthode que je vois d’un bon œil. Ce sont des devises qui arrivent dans les pays, des infrastructures qui se montent dans le pays, c’est structurant.
Pourriez-vous décrire votre expérience en tant qu’entraîneur principal de l’Olympique de Marseille ?
Elle n’était pas prévue. Pablo Longoria m’avait dit que l’entraîneur Villas Boas allait quitter son poste d’entraîneur et m’avait demandé de lui constituer un staff. J’ai tenté de le lui en proposer un sans pour autant vouloir être au devant de la scène. Cependant, je n’ai pas réussi à constituer un staff qui était prêt et opérationnel. Et comme l’équipe sortait de plusieurs difficultés, que ce soit au niveau des résultats, par rapport au public qui avait pris la commanderie, au président chahuté, à l’entraîneur qui arrêtait, je me suis dit qu’il fallait plutôt de l’apaisement et de la bienveillance avec les joueurs. Sans oublier la performance bien-sûr, mais je me suis dit qu’il fallait vraiment les aider là-dessus.
Puisque Pablo Longoria n’avait personne et souhaitait quelqu’un de l’intérieur, je me suis proposé. J’ai pris beaucoup de risques car je n’ai jamais été sur un banc de touche professionnel mais je l’ai fait car j’avais la promesse de ne faire uniquement que deux, trois matchs. Au final j’en ai fait neuf, soit pratiquement un mois. Je suis allé au charbon car j’ai, sur la place française, une réputation de formateur et non pas d’entraîneur. J’aurais pu me crasher en plein vol si cela avait été du n’importe quoi avec l’équipe. Je remercie fortement les joueurs car ils m’ont rendu la bienveillance que je leur ai donnée. Dans le vestiaire, j’ai dit dès le départ que je n’avais pas d’expérience en professionnel mais par contre, je savais par où ils étaient passés pour devenir professionnel. Et j’ai eu la chance d’avoir Steve Mandanda que j’avais eu à l’âge de dix-ans au Havre, il a été un appui très fort dans cette période. J’ai donc très bien vécu cette expérience en tant qu’intermédiaire en sachant que je n’étais là qu’en attendant le nouvel entraîneur qui allait arriver. Le plus vite possible était le mieux pour moi et pour le club.
Ça a duré un mois, ce fut une expérience plaisante et certains joueurs m’ont demandé de rester jusque fin juin.
Par ailleurs, ce moment a été très formateur pour moi aussi. Il m’est arrivé d’avoir la conviction en tant que Directeur de Centre que certains joueurs étaient prêts pour aller en professionnel et je ne comprenais pas le choix de l’entraîneur de ne pas le prendre. Il y avait de l’incompréhension. Quand j’ai vécu cette courte expérience d’entraîneur, j’ai fait monter quelques joueurs et me suis aperçu que ceux que j’avais proposé pour l’équipe professionnelle avaient encore une grande marge de progression avant de pouvoir prétendre à intégrer le groupe professionnel. De fait, il m’a fallu revoir l’exigence et le travail au sein du centre pour faciliter encore plus cette transition.
Avez-vous pour ambition de réitérer l’expérience ?
Il ne faut jamais dire jamais. Mais honnêtement, si on me propose deux challenges, un dans la formation et l’autre au poste d’entraîneur d’une équipe professionnelle, j’opterai pour la formation.
Concernant l’actualité, vous avez récemment quitté l’Olympique de Marseille, pourquoi avoir mis fin à l’expérience ?
Je suis du genre lucide, quand vous sentez que vous n’avez pas les réponses à vos questions et que vous ne pouvez pas aller chercher l’évolution du centre, vous rendez les clés.
Il y aujourd’hui certains types de fonctionnement ou certaines idées sur lesquelles nous n’étions pas forcément en accord.
Lorsqu’il y a cette divergence, même minime de méthode ou de philosophie, je préfère quitter le club.
C’est vraiment une décision personnelle dictée par rapport à mon ressenti. Peut-être que je me trompe mais je n’ai pas senti que je pouvais faire progresser le centre de formation sur les prochaines années.
J’ai donc préféré partir la tête haute.
Quels étaient les points de divergences ?
L’infrastructure, le recrutement des joueurs, la méthodologie de travail et la connexion avec les professionnels.
Même si le lien avec le groupe professionnel se passait très bien, tout comme celui avec Sampaoli, nous avions des rapports très cordiaux et professionnels, mais nous avions des divergences sur les joueurs à faire monter ou non en équipe professionnelle.
Il y a avait également le recrutement des joueurs sur lesquels nous devons donner notre avis. Il faut être sur la même ligne. Puis concernant les personnes qui s’occupent des jeunes, nous devons avoir des processus communs pour mener notre mission et avancer.
Ce sont ces points là qui m’ont donné envie d’aller voir ailleurs.
Un mot pour conclure ?
Je souhaiterais commencer par remercier chaleureusement Zubizarreta qui m’a contacté pour me proposer ce poste là avec Jacques-Henri Eyraud, ce sont vraiment deux personnes formidables qui m’ont permis de faire ce que je fais ici.
Je souhaite également remercier toutes les personnes avec qui j’ai pu travailler ces trois dernières années même si nous sommes arrivés dans une période très compliquée avec la Covid19 puis l’intérim. Les deux premières années ont été difficiles mais très structurantes et enrichissantes. Nous avons travaillé en collaboration, nous nous sommes réinventés au regard de la pandémie. Et cette année qui me paraissait normale, a été un petit peu compliquée que je l’attendais mais aussi très excitante car nous avons retrouvé la compétition et un quotidien plus ou moins normal.
J’ai passé trois belles années, j’ai réellement apprécié travailler dans ce club immense, mastodonte du football français et mondial avec des supporters formidables. J’ai rarement vu des fans qui aiment autant leur club. L’OM est ancré dans la ville, témoin de la ville.
J’ai pris beaucoup de plaisir et eu des retours positifs tant des supporters que des joueurs. Malgré la décision que j’ai prise de m’en aller, je n’en dirai et n’en tirerai que du positif de cette expérience.