Cet entretien avec @Carles Martinez Novell a été réalisé par @Ignacio Benedetti pour notre partenaire @The Tactical Room (Edition N°61). Entretien traduit et adapté en français par @NOSOTROS.
Ces dernières années, pour analyser le succès du FC Barcelone, il est courant de faire référence à la Masía – Centre de formation Oriol Tort. Mais lorsque l’on parle de la Masía, c’est à peine si l’on évoque les rouages qui l’ont converti en une référence mondiale en termes de formation de jeunes footballeurs. L’une de ces raisons est la compétence des entraineurs qui y travaillent.
Carles Martinez Novell (1984) est un de ces formateurs qui travaillait, jusqu’à peu, au sein du « fútbol base » du club catalan. Licencié en sciences de l’activité physique et du sport, Martinez a rejoint l’institution barcelonaise en 2015, passant 2 ans et demi à la tête des Infantil A (U14) et une année et demie à la tête des Cadete A (U16). Avant de rejoindre le FC Barcelone, il a passé cinq saisons au RCD Espanyol.
En plus de son activité sur le terrain, il collabore aussi avec la fédération catalane de football, en tant que professeur de tactique sur la formation des entraineurs. C’est peut-être pour cette raison qu’à chacune de ses interventions, Carles Martinez prend le plus grand soin, en bon professeur qu’il est, d’accompagner son interlocuteur sur le chemin ardu de la compréhension. Grand connaisseur du Jeu de Position, au point de parcourir le monde pour l’expliquer, Carles a longuement reçu The Tactical Room, avec l’enthousiasme qui caractérise tous les maestros qui embrassent le difficile processus de se faire comprendre.
Carles Martinez Novell, lors de la conférence NOSOTROS dédiée à la compréhension du jeu.
Il a été dit que cette version du Jeu de Position n’était que le fruit du talent d’une génération de joueurs, composées entre autres de Xavi Hernandez, Andrés Iniesta, Sergio Busquets et Lionel Messi. Vous qui avez entrainé au sein du « fútbol base » du FC Barcelone, pourriez-vous nous expliquer si c’est vrai ?
Je crois que souvent, lorsque l’on parle de talent, on devrait préciser sur quelle qualité nous souhaitons attirer l’attention. Dans le cas de Barcelone, tous les défenseurs centraux ne se valent pas. Dans n’importe quel autre endroit du monde, Busquets ne serait pas 6. Cela s’est passé comme ça parce qu’ici, au Barça, la qualité la plus plus importante, c’est la compréhension du jeu.
Finalement, tu te mets à penser à Xavi, qui est très bon techniquement, mais ce qu’il fait n’est surement pas très différent de ce que peuvent faire d’autres joueurs. Cependant, son immense qualité c’est la compréhension du jeu. Moi, sur cet aspect-là, je suis très exigeant. Dans ce club tu dois mettre l’accent sur la recherche du joueur intelligent et travailler sans relâche sur la compréhension du jeu, le reste suivra de lui-même.
Prenons un exemple, la technique : si tu travailles sur la compréhension du jeu, la passe sera réalisée, la conduite de balle aussi, et même avec de la vitesse. Beaucoup de choses vont se réaliser, mais la difficulté n’est pas tant comment faire, mais de savoir vers où faire la passe, vers où conduire le ballon… Et ça c’est la compréhension du jeu.
C’est pour ça que, je crois qu’effectivement, il y a des joueurs au club qui peuvent devenir Piqué, Xavi ou Iniesta. La question est avant tout de savoir, et ceci est valable dans tous les clubs du monde, à quoi faire attention, a quoi voulons nous réellement donner de l’importance. Et ce n’est pas seulement une question de jouer court ou avoir la possession.
« Dans ce club, tu dois mettre l’accent sur la recherche du joueur intelligent et travailler sans relâche la compréhension du jeu, le reste suivra de lui-même »
Cependant on mélange souvent la compréhension du football avec un football de possession fait du jeu court.
Quand j’interviens dans des conférences hors d’Espagne, j’essaye de mettre l’accent sur le fait que, même si tu veux faire du jeu direct, parce que par exemple Liverpool joue comme ça, le plus important c’est que tes joueurs comprennent le jeu.
Au final, ce n’est peut-être pas du jeu de position et je ne dis pas que ce n’en est pas, mais quand tu vois comment Firmino se positionne entre les lignes avec l’intention d’attirer les centraux, qui le regardent, pour que Salah puisse attaquer l’espace dans le dos de la dernière ligne… Tu observes très clairement qu’ils manipulent l’adversaire et ça c’est la compréhension du jeu. D’autres équipes qui jouent encore plus direct ont aussi besoin de comprendre le jeu, afin d’être efficace dans ce qu’ils souhaitent mettre en place.
Par exemple imaginons que je veuille jouer directement avec mon excentré et mon attaquant. Pour que j’ai un ascendant dans ce contexte, il va falloir créer un certain avantage « positionnel » ou numérique. Il faut que le joueur qui occupe la position du 10 sème le doute dans l’esprit du central adverse. Dois-je sortir le presser ou pas ?
C’est ces conditions qui permettront au joueur excentré d’attaquer cet espace dans le dos de la ligne défensive. Mais si mon adversaire est attentif aux déplacements de l’excentré et de l’attaquant parce qu’il s’attend à ce qu’on joue long, c’est l’intérieur qui créera le danger lorsqu’il recevra le ballon entre les lignes.
Je dis toujours qu’il y a des équipes qui se focalisent sur ce qui se passe au loin, mais en ce qui me concerne, je préfère que mes joueurs se concentrent sur le jeu entre les lignes. Si les espaces ne sont pas entre les lignes, cela veut dire qu’ils sont sur les côtés ou dans le dos de la dernière ligne. Si au contraire il y a de l’espace c’est qu’ils protègent les côtés ou la profondeur. Alors c’est là qu’il faut jouer. Pourquoi jouer ailleurs ?
Pour moi, la compréhension du jeu est fondamentale, et, je le répète, ce n’est pas une question de jouer court ou pas, il s’agit que tes joueurs comprennent pourquoi ils font les choses.
Concernant le Jeu de Position, il faut se souvenir que la Dream Team de Cruijff et la Pep Team de Guardiola ont su mélanger jeu court et jeu long. Ce qui oblige à faire plus attention aux distances entre les joueurs.
Pour moi le jeu de position, au-delà de la position que chacun doit occuper, c’est avant tout la lecture des espaces. Ces espaces, on doit les utiliser, les occuper, les libérer ou les créer pour son propre bénéfice.
Si l’adversaire ne te concède que très peu d’espaces où lui faire mal entre les lignes, à un moment, tu devras attaquer dans le dos de la dernière ligne ou bien par les côtés ou encore positionner des joueurs clés dans des espaces où ils retiendront l’attention de ton adversaire.
« Pour moi le jeu de position, au-delà de la position que chacun doit occuper, c’est avant tout la lecture des espaces »
Tout ça afin que les espaces que tu souhaites réellement attaquer et qui étaient inexistants auparavant, s’agrandissent. Le problème de tout ce que l’on vient de dire c’est qu’au final le timing conditionne tout.
Pouvez-vous être plus précis ?
Toute action dépend du timing, du temps. Si une passe, ou un démarquage se fait 1 ou 2 secondes trop tôt, cela ne servira à rien. Il y a un concept défensif qui nous apprend que ce qu’il y a dans notre dos est plus important que ce que l’on a en face de nous.Aussi, pour que tes adversaires croient réellement qu’ils peuvent te suivre, tout doit être crédible, sinon ils seront toujours plus attentifs à ce qu’il se passe dans leur dos qu’en face d’eux.
Selon moi, le Jeu de Position est lié aux espaces que nous devons essayer de créer et occuper, à notre façon et les joueurs doivent connaitre quelques concepts pour savoir à quel moment faire les choses. Bien sûr qu’il doit y avoir des joueurs qui vont dans la profondeur, car s’ils ne le font pas : comment vont-ils séparer les lignes, s’ils ne regardent que ce qui est proche d’eux ? Il faut utiliser la profondeur et ça peu d’équipe qui essayent d’utiliser le Jeu de Position le font.
Pour moi, le meilleur club du monde en termes de Jeu de Position, c’est Manchester City et tu vois constamment leurs joueurs attaquer la profondeur : intérieurs, excentrés, latéraux. Les joueurs qui menacent le dos de la dernière ligne obligent l’adversaire à les suivre, sous peine de les laisser en 1vs1 avec le gardien et c’est comme cela qu’ils créent réellement les espaces.
Quand j’interviens dans des cours sur la tactique ou dans des conférences, je dis toujours la même chose : pour bien comprendre le jeu d’attaque ou de position nous devons connaitre les concepts défensifs. Quand tu as une bonne maitrise des concepts défensifs, tu vas pouvoir jouer avec les espaces, ce n’est pas une question de « je vais me placer ici pour que le latéral me suive ». Non, le latéral ne va pas te suivre si ton propre latéral avance.
C’est très important de comprendre le jeu pour pouvoir jouer avec ce qui se passe dans un match. C’est pourquoi, l’entrainement est très important afin que le joueur comprenne le timing, le moment … En résumé, Le temps d’avant.
Pouvez-vous approfondir ce concept du temps d’avant ?
Avant de recevoir le ballon, il y a 10 joueurs et si ces 10 mêmes joueurs comprennent le jeu et interprètent le jeu de la même manière, l’équipe jouera mieux. S’il y a bien quelque chose que j’ai appris au contact de Paco Seirul.lo et Joan Vila, ce sont les différents types d’aides au porteur du ballon qui existent. Il y a le démarquage de continuité qui est un démarquage où tu n’as pas réellement l’intention de te démarquer. En fait, tu cherches à te déplacer pour créer, petit à petit, des espaces et qu’a un moment nous puissions, grâce à « l’appui » suivant : progresser.
A ce moment je peux surpasser mon adversaire direct ou occuper un espace entre les lignes, cela dépend. Mais si l’adversaire te suit, alors peut être que ce démarquage se transforme en « appui » d’attraction. S’il te suit et qu’un de tes coéquipiers apparait dans cet espace, cela génère un autre type « d’appui », le troisième homme. Je vais alors pouvoir jouer de face avec lui.
Finalement, s’il ne te suit pas parce qu’il s’est rendu compte qu’il y a une menace potentielle dans son dos et que toi tu t’étais préparé à un « appui » d’attraction, cela devient un « appui » de progression. Et ensuite un « appui » de finalisation. Si personne n’offre « d’appui » de finalisation, c’est impossible de générer des espaces entre les lignes. Il en existe un autre mais pour moi, avec ceux-là tu peux déjà beaucoup jouer avec ton adversaire.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces discussions avec Seirul·lo et Vila ?
Ils mettent beaucoup l’accent sur le moment auquel il faut faire les choses, pour qu’un démarquage ou un appui soit efficace et nous devienne favorable, il doit au minimum générer un doute chez ton adversaire. Par exemple, il y a beaucoup de milieux qui décroche entre les lignes. Mais ils le font tellement tôt et tellement loin de leurs adversaires respectifs, que ces derniers ne douteront jamais au point de venir les chercher, parce qu’ils savent que le plus important, c’est ce qui peut se passer dans leur dos.
Or quand tu as compris que la clé, c’est le timing et surtout la distance avec ton adversaire alors peut être qu’il commettra l’erreur de suivre. Faire ce pas, ce mouvement qui créera l’attraction d’un adversaire et permettra à un coéquipier de progresser et que les espaces s’ouvrent.
C’est pour cela que je crois que les appuis sont très importants, mais plus encore de semer le doute chez ton adversaire pour que petit à petit, les espaces apparaissent. Il y a aussi beaucoup d’autres concepts comme par exemple celui du « 1er conditionne le 2nd ». Il y a toujours un 1erjoueur qui se déplace et toujours un 2nd qui va créer une ligne de passe à une hauteur différente. Aussi, lorsque nous nous donnons de la liberté au 1er, le 2nd doit s’adapter en fonction de lui et ça c’est parfait, surtout si le 1er se déplace en fonction de ce que souhaiterait le 2nd et à ce moment là on va un peu plus loin que la simple notion de temps et évoquer la notion de communication. La communication, c’est que le 2nd disent au 1er : à droite, à gauche, etc… Qu’ils créent un espace pour que ce joueur en profite.
Jeu de Position – Le 1er conditionne le 2nd (Carles Martinez Novell)
Aussi, il se peut que cet espace soit créé à l’initiative des joueurs ou à la demande de l’entraineur lors de son plan de match. Cependant, si les joueurs ne maitrisent pas ces concepts, il est impossible que ce plan, mis en place par l’entraineur ne fonctionne.
C’est pourquoi la compréhension du jeu est fondamentale, elle peut s’acquérir par des phrases très simples à comprendre, par exemple le porteur de ballon dans une situation stable (sans risque) ne devrait pas donner le ballon à un joueur qui est dans une situation instable (risquée).
En conclusion, après avoir échangé avec des entraineurs qui ont mené un travail approfondi sur le jeu de position, je dirai que celui-ci oblige à une meilleure compréhension du jeu. A quelle étape de sa formation, un joueur commence-t-il à montrer des signes d’entrée dans ce processus ? Récemment, Oscar Hernandez m’expliquait, dans cette même revue, que dans un premier temps un joueur de football doit d’abord « nous entendre » / écouter pour qu’ensuite se produise ce voyage vers la compréhension.
Je n’aime pas parler d’âge précis, parce que je crois c’est mieux de parler de niveau. Parfois, je vois un U11 du Barça ou d’un village, qui possède une compréhension du jeu qui me fait dire qu’il n’a pas 10 ans. Il pourrait évoluer à un niveau plus avancé. Pendant que d’autres en ont 14 et ont l’air d’en avoir 8 en termes de compréhension des choses. C’est pour cela que je préfère parler de niveau.
« Il y a beaucoup de joueurs qui sont très bon avec le ballon, très forts physiquement, très bons dans le dribble, dans la percussion et bien d’autres aspects. Cependant, en les observant, tu te rends compte que presque tous ne regardent que le ballon. Ils se déplacent pour offrir des lignes de passe, mais lorsqu’ils reçoivent le ballon, ils ne savent pas quoi en faire »
Et qu’avez-vous observé pour arriver à cette conclusion ?
On dit toujours, « tu dois voir » et j’ai développé une espèce de classification de cette idée de « voir ». D’abord, il y a le joueur discret, avec un faible niveau, qui ne t’offre même pas une ligne de passe. C’est le niveau 1. Au niveau 2 il y a le joueur un peu plus avancé. Lui il t’offre des lignes de passe, mais n’a aucune possibilité de jouer ensuite avec un coéquipier. Le joueur de niveau 3 est celui qui commence à être un joueur assez correct. Il pense à l’action suivante et est donc alerte sur ce qui peut se passer une fois qu’il a reçu le ballon. Par exemple dans le cas d’un intérieur (8), les actions suivantes pourraient être : trouver le 6 (pivot) ou le 2 (latéral droit) face au jeu. Mais ce joueur peut être encore meilleur, s’il a une idée claire d’où se trouvent le 9 ou le 7 (excentré). Là tu te dis que c’est un joueur qui commence à être bon. Ensuite il y a le niveau 4. C’est un joueur qui sait pourquoi il n’offre pas de ligne de passe dans un 1er temps, car il sait qu’il va recevoir le ballon de la part d’un coéquipier dans un 2nd temps.
Nous avons joué contre des équipes d’autres pays où j’ai vu beaucoup de très bons joueurs. Au regard de ce que nous avons évoqué précédemment sur le talent : ils sont très bons avec le ballon, très forts physiquement, très bons dans le dribble, dans la percussion et bien d’autres aspects.
Cependant, en les observant, tu te rends compte que presque tous ne regardent que le ballon. Ils se déplacent pour offrir des lignes de passe, mais lorsqu’ils reçoivent le ballon, ils ne savent pas quoi en faire. Quand tu regardes des grandes équipes comme le Barça, le Bayern Munich, Manchester City ou le Bayer Leverkusen, pour n’en citer que quelques-unes tu peux identifier des joueurs qui ont une idée claire de ce que peut être l’action suivante et avec ça ils gagnent du temps.
« Voir » pour gagner du temps, c’est peut-être le bien le plus précieux et le plus rare en football
C’est à cela que je voulais en venir. Au fond, que signifie vraiment « voir » ? Si je sais à quoi faire attention et que j’y fais attention, alors inconsciemment, je vais regarder mon partenaire, mon adversaire direct pour voir s’il me presse ou pas, s’il est prêt ou loin de moi, si je suis « fixateur » ou pas. Pour conclure au sujet de l’âge et le « voir », dans ma classification il y a le niveau 4. C’est un top joueur selon moi, car il comprend qu’il n’est pas obligé d’offrir une ligne de passe au « moment 1 », car il sait qu’il pourra le recevoir dans de meilleures conditions au « moment 2 » ou même sans toucher le ballon, son rôle aura été d’une grande aide.
C’est celui qui comprend les circonstances et agit en fonction d’elles ?
Imagine que tu sois le porteur du ballon et que tu as un coéquipier qui t’offre une ligne de passe. Si je t’offre, au même moment, une autre ligne de passe, cela veut dire que tu as 2 lignes de passe. Mais peut-être que nous sommes entrain de casser la connexion suivante, entre le 6 et le 8 par exemple.
On détruit une possibilité de « troisième homme »
Exact ! Le 3ème homme n’existerait pas, ce ne serait pas possible. Pour moi, le niveau 4 n’est accessible qu’au joueur qui identifie et sait répondre au bon moment, à la situation de jeu. Je sais qu’au « moment 1 », mon rôle n’est pas important, mais qu’il va devenir primordial quand le second joueur recevra le ballon.
Quel joueur peut-on prendre comme exemple de ce niveau 4 ? Je ne voudrais pas me tromper mais en vous écoutant, je pense à Pedro Rodriguez
Oui, Pedro est un joueur qui a souvent été sous-évalué en ne reconnaissant pas la valeur de ce qu’il a apporté à ses partenaires, parce que justement Pedro était capable de réfléchir et identifier le moment précis où il devait prendre la profondeur. Il existe un concept très important à propos des excentrés qui nous apprend que lorsque notre central a le temps et de bonnes conditions pour jouer un ballon vers la profondeur, le fait que notre excentré attaque systématiquement cet espace, dans le dos de la dernière ligne, sera un bon point pour nous, mais au final il sera toujours dans une fonction de fixateur.
En réalité tout dépend du timing, car tu peux aussi bien recevoir le ballon et jouer rôle dans la fixation de l’adversaire à l’intérieur. Il y a une chose que je dis souvent à mes joueurs excentrés c’est que si tu vois que ton intérieur peut recevoir dans des conditions favorables, alors prépare toi a attaquer la profondeur, parce qu’il vaut mieux que ce soit l’intérieur qui fasse cette passe entre les lignes plutôt que le central, qui est loin ce qui rendre la passe difficilement précise.
En revanche, si les excentrés estiment qu’il est impossible que les intérieurs reçoivent le ballon durant tout le match, peut être que le timing de démarquage des excentrés changera, qu’il se fasse un peu plus tôt, pour qu’il devienne fixateur et permette au final, à l’intérieur de recevoir et qu’il se rendent compte qu’il y a une rupture, que l’excentré s’est démarqué et que sa position qui n’était pas celle-ci initialement était la bonne.
Qu’est-ce que Pedro faisait de bien avec le FC Barcelone ? Il était capable de se repositionner sur la ligne de hors-jeu, pour de nouveau attaquer l’espace dans le dos de la dernière ligne. Il y a des joueurs qui sont extrêmement importants dans le jeu de position parce qu’ils génèrent beaucoup de choses.
C’est ce dont nous parlions tout à l’heure : Manchester City est une grande équipe parce qu’il n’y a pas seulement que les excentrés qui attaquent cet espace, mais l’avant-centre, les intérieurs, les latéraux… il y a un mouvement incessant de joueurs qui attaquent, à tel point que les défenseurs ne savent plus s’ils doivent suivre ou non l’avant-centre qui lui-même a été fixateur et un joueur adverse resterai libre.
Mais si les défenseurs ne le suivaient pas, alors le démarquage de ce joueur se transformerait en démarquage de finalisation qui lui permettrait de marquer un but. Ainsi, il y a des joueurs qui sont clés, comme par exemple, un bon latéral.
Un latéral qui, plus que courir sache surtout comment, quand et pourquoi courir. Aujourd’hui, on a l’impression que l’on valorise davantage la faculté de répéter les courses dans tous les sens plutôt que de savoir faire les courses au bon moment.
Quand un central a le ballon, un latéral qui est parfaitement placé sème le doute dans l’esprit de l’excentré adverse, c’est finalement assez basique. Par exemple, si tu es à une distance à laquelle tu sais que tu attires l’attention de l’excentré adverse : que génères tu ? De l’espace pour un joueur à l’intérieur. Si au contraire tu vois que l’excentré est focalisé à 100% ce qui se passe à l’intérieur, alors ta hauteur doit être différente parce que ce sera toi qui vas faire progresser le ballon.
Après il y a des petits détails, mais quand l’excentré te marque individuellement, si tu attaques l’espace, il va quasiment toujours te suivre. Mais il y a certains moments clés où un excentré en situation défensive va faire attention au latéral, et il n’est donc pas concentré sur ce qu’il se passe à l’intérieur. Au moment où le ballon va à l’intérieur, inconsciemment, parce que le ballon attire, cet excentré va se tourner et regarder vers l’intérieur. Quand cela arrive, c’est un bon moment pour que le latéral disent : « maintenant, j’y vais », c’est pile à ce moment qu’il « déboule » dans le couloir car l’excentré ne fait plus attention à lui.
Il y a aussi le cas des centraux qui attendent de voir ce que la passe va déclencher, ce que les adversaires vont mettre en place, ce type de central n’a pas construit le « temps d’avant ». Et il y en a d’autres qui sont à la même hauteur que l’attaquant…
Finalement, si le latéral arrive à attirer, que le central est correctement placé, que l’intérieur s’est déplacé devant le pivot adverse pour qu’il le suit et que l’excentré profite du timing pour utiliser cet espace : petit à petit, qu’avons-nous construit ? Chacun a généré du temps et de l’espace, finalement un espace – temps favorable pour que le joueur reçoive le ballon où nous le voulons, mais avec des bonnes conditions de temps et d’espace. A partir de là, le joueur doit avoir de la liberté de se dire, je joue le 1vs1, je passe, j’ouvre vers un côté, etc.
Avec cette explication, vous faites un bref résumé de ce qui est, pour beaucoup, le football : un continuum de situations, d’actions qui ne peuvent s’expliquer séparément.
Le temps d’avant est très important et des fois on ne lui porte aucune attention. Si les 10 joueurs de champ sont concentrés sur quoi-faire sur le temps d’avant, le pendant et l’après seront plus facile. A propos, des catégories que vous abordiez, je crois que tout dépend du niveau, si c’est un joueur de niveau 1 cette structure va m’aider à me concentrer sur certains éléments, alors que si c’est un joueur de niveau 4, je m’attarderai sur d’autres aspects.
Demain, si je prends en charge une équipe où tous les joueurs ne regardent que le ballon, j’essaierai de les aider à seulement penser à l’action suivante, au contraire si j’ai une équipe composée de joueurs qui pensent déjà à l’action suivante, peut-être qu’il faudra commencer par faire attention à d’autres situations qui se rapprochent de ce à quoi pense un joueur de niveau 4.
Vous avez évoqué la notion de liberté, certains pensent qu’il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans la réflexion sur le jeu de position, en argumentant qu’il restreint la liberté des joueurs et produit des joueurs formatés et robotisés.
La sensation que j’avais auprès de mes joueurs était que si chaque joueur comprenait mieux le jeu, chacun selon sa position, pourrait être meilleur. Par exemple, un central qui va bien se placer au moment de la passe créera plus de danger qu’en étant mal placé, un intérieur qui sait quand apparaitre, où se placer, identifier le bon timing en fonction du joueur le plus proche ou du plus éloigné, prendra beaucoup de plaisir car il recevra le ballon entre les lignes pour aller au but ou marquer. Un excentré qui sait quand se démarquer, jouer en une touche, pourra plus facilement centrer ou marquer, il pourra faire des choses spécifiques à sa position.
A chaque fois je comprends que si nous apprenons aux joueurs à faire attention à ce qui est réellement important, alors, on leurs aura transmis quelque chose de grand. Ce qui est fondamental, c’est d’identifier ce qui est important pour chaque joueur et ce qui me plait le plus c’est d’insister sur le temps d’avant. Si sur ce temps d’avant, il comprend le jeu alors sur le pendant et l’après, il aura plus de liberté.
Carles Martinez Novell, lors de la conférence NOSOTROS dédiée à la compréhension du jeu.
Parfois, on oublie que les joueurs sont avant tout des individus. J’affirme cela parce que certaines voix s’élèvent en prétendant qu’appliquer certaines recettes de cuisine ou formules mathématiques bien senties pour pouvoir jouer d’une certaine manière en oubliant que le concept même de l’équipe est l’aspiration mais que celle-ci est constituée d’individualités, dont il faudra bien s’occuper.
C’est une bonne question à laquelle je réfléchis chaque jour un peu plus, bien que de plus en plus d’entraineurs semble y prêter de moins en moins attention. Ils prennent une équipe en restant dans l’attente de certains déplacements. Mais on oublie que tout cela se construit et repose sur un collectif de 11 joueurs et que nous sommes dépendants du fait que les joueurs sachent quoi faire à chaque moment. En réalité tout dépend du timing, d’un moment et des joueurs.
Chaque jour, je suis plus convaincu par le fait que si j’aide mes joueurs, ensuite, même si j’ai un plan de match, ils sauront le comment et pourquoi. Si j’ai un plan de match et qu’à la 10èmeminute de jeu il y a un changement, c’est eux qui devront s’adapter à cela. C’est pour cela que le jeu de position est si important, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un joueur, mais de la relation. Peut-être que ce ne sera pas entre les 11 mais si tu la relation entre le 2 et le 11 fonctionne bien ou entre le 10 avec le 9, ça peut valoir vraiment la peine.
Evidemment si les relations fonctionnent bien entre les 11 c’est encore mieux. Tout part du joueur et c’est là-dessus que nous devons concentrer nos efforts, aider les joueurs pour qu’ils comprennent le temps d’avant et qu’ils prennent du plaisir dans le jeu et puissent exprimer leurs qualités.