Dans votre communication, vous évoquez régulièrement la difficulté du parcours des jeunes footballeurs pour s’épanouir dans le football professionnel. Pouvez-vous nous expliquer votre position sur ce sujet ?
Dans les catégories de jeunes, les représentations de notre milieu s’accordent généralement pour définir les meilleurs joueurs par rapport à un niveau de performance supérieur à la moyenne à un instant T, en se focalisant prioritairement sur la dimension d’expression individuelle sur le terrain.
Des qualités d’habiletés gestuelles, de percussion et de vitesse seront par exemple particulièrement valorisées surtout si le joueur est considéré comme immature, laissant supposer qu’il possède une marge d’évolution importante. Notre système créant les conditions d’une sélection de plus en plus précoce, ce sont ces éléments qui sont prioritairement retenus et qui bénéficient des meilleures conditions de développement en centre de formation.
Globalement, ces joueurs rencontrent, sauf exception, peu d’obstacles « naturels » majeurs durant leur parcours de formation. La balise culturelle de référence est le niveau de compétition atteint en fonction de l’âge. Un joueur est considéré en réussite à partir du moment où il joue dans les championnats nationaux, la plupart du temps en étant surclassé d’un an, et en équipe de France de sa catégorie d’âge.
« En football, les chemins qui mènent à l’excellence sont très variés et cela pose deux questions fondamentales à propos du développement d’une part et du recrutement d’autre part »
La signature du contrat professionnel se produit à un moment ou un autre de cette trajectoire quasi rectiligne. Puis, il y a l’entrée dans le groupe professionnel et à cet instant, les règles du jeu changent (la balise de référence évoquée plus haut également). Le joueur prend plus ou moins rapidement conscience des difficultés à franchir l’obstacle de la titularisation « durable » en équipe professionnelle.
Après huit saisons passées au Stade Rennais FC en tant qu’éducateur (U19 nat. pour l’essentiel) puis trois au FC Lorient en tant que directeur de centre de formation et éducateur des U17 nationaux, j’ai réalisé le même constat. J’observais les jeunes joueurs extrêmement performants en formation quelques mois auparavant, se retrouver face à cette difficulté en donnant l’impression de ne plus être en capacité d’exploiter leurs ressources dans ce nouveau contexte.
La culture prédominante était celle de l’alibi et de la participation. C’était systématiquement la faute de quelqu’un d’autre : le club, le coach, la concurrence, les coéquipiers, même l’agent pouvait être critiqué … Le joueur et son entourage se montraient extrêmement impatients et la relation avec le club se détériorait rapidement.
Généralement, le joueur « en échec de titularisation » souffre d’un manque de reconnaissance, son estime et sa confiance pouvant être altérées et il ne parvient pas à créer du sens dans la complexité de la situation (le tout avec des modifications parfois très significatives de ses conditions de vie). Le contraste entre la situation de réussite initiale et la nouvelle configuration peut être très important.
« La culture prédominante était celle de l’alibi et de la participation »
Il accumule beaucoup de frustration et plutôt que d’exercer toute sa responsabilité, il se désengage progressivement. Idéalement, nous pourrions imaginer que cette épreuve soit considérée dans sa dimension positive, c’est-à-dire dans ce que cela mobilise comme engagement supérieur, passion et créativité pour la dépasser !
Les difficultés de ce passage ne sont évidemment pas uniquement liées à un défaut de gestion de projet de la part des joueurs. De nombreux facteurs peuvent être impliqués. Des contraintes structurelles telles que le nombre de contrats dans l’effectif professionnel, l’instabilité des staffs et des politiques sportives, la pression du résultat, les possibilités de valorisation financière précoces (club, agents, intermédiaires en tous genres) interviennent dans ce processus.
« Il est aujourd’hui largement démontré que la prédiction du talent à partir d’indicateurs précoces est très difficile (nombreux biais) et qu’un certain nombre de joueurs pas ou peu identifiés chez les jeunes évoluent au plus haut niveau quelques années plus tard (et inversement) »
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Une curiosité se produit d’ailleurs très régulièrement durant cette étape du parcours car nous y observons l’éclosion de joueurs peu mis en valeur dans les catégories de jeunes. Ces derniers à maturité tardive pour certains, se caractérisent fréquemment par un profil de jeu plus collectif et semblent se mouvoir plus aisément dans cet environnement soudainement difficilement intelligible.
Votre entretien avec Joe Baker (« Le talent est inné, multidimensionnel, émergent, dynamique et symbiotique ») avance dans ce sens plusieurs arguments très intéressants. Il est aujourd’hui largement démontré que la prédiction du talent à partir d’indicateurs précoces est très difficile (nombreux biais) et qu’un certain nombre de joueurs pas ou peu identifiés chez les jeunes évoluent au plus haut niveau quelques années plus tard (et inversement). En football, les chemins qui mènent à l’excellence sont très variés et cela pose deux questions fondamentales à propos du développement d’une part et du recrutement d’autre part.