Voici un entretien avec Pierrick Desfontaine, enseignant en STAPS à l’Université de Toulon et auteur d’une thèse sur l’arbitrage et les enjeux associés à la VAR. cet article est issu des travaux de notre ami Alilou ISSA avec NOSOTROS.
Voici les points clés de cet entretien:
- L’importance de connaitre le règlement pour tous les acteurs du jeu.
- Le rôle crucial de l’arbitre et les compétences nécessaires pour exercer cette fonction.
- Les défis de l’arbitrage moderne et l’utilisation de la technologie.
- L’impact de la technologie sur le comportement des joueurs.
- Les perspectives d’évolution de l’arbitrage et la place de l’humain.
Arbitrer c’est : décider, communiquer et assumer
Enseignant en STAPS à l’Université de Toulon et auteur d’une thèse portant sur l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) dans le football professionnel français, Pierrick Desfontaine nous propose un éclairage sur ses recherches.

Qu’est ce que le football représente pour vous ?
Comme énormément de pratiquants, c’était d’abord le rêve de devenir un joueur professionnel. J’ai essayé et comme beaucoup, j’ai échoué. C’est ensuite devenu une pratique au niveau semi-amateur ou semi-professionnel, tout dépend de comment on aborde la question lorsqu’on évolue à des niveaux comme la N3, et même la R1 dans certaines ligues. Puis, grâce à mes années en tant qu’éducateur au Stade Rennais et à mon parcours concomitant à l’École Normale Supérieure de Rennes (ENS Rennes, département Sciences du Sport et de l’Education Physique), j’ai réussi à vivre du football dans son versant universitaire.
Je suis devenu enseignant agrégé de spécialité football et docteur en STAPS. Certaines universités (exemples: Toulon, Montpellier) ont une approche dite culturaliste qui voit la spécialité sportive prendre une part importante des enseignements dispensés aux étudiants. Le football structure un parcours stapsien signifiant, connecté à une culture sportive de référence. Cette formation est riche de contenus pratiques, théoriques, fédéraux et diplômants. Je suis responsable de ce parcours au STAPS de Toulon, avec comme partenaires majeurs le district du Var et la Ligue Méditerranée.
D’autre part, en tant que gardien de but qui pratique toujours, mon rapport à l’activité ressemble parfois à une relation amour-haine. Lorsqu’il y a clean sheet, j’ai l’impression de pouvoir jouer jusqu’à 40 ans comme l’idole Gianluigi Buffon. Et lorsque cela se passe un peu moins bien, j’en ai plein les gants et je me demande : “à quoi bon continuer de plonger ?”. C’est une relation qui est parfois ambivalente d’autant qu’elle est exacerbée par la spécificité du poste, son exposition, ses douleurs.
Pour terminer, j’entraîne aussi les jeunes portiers depuis plus de 10 ans et je coache filles et garçons en football FFSU (Fédération Française du Sport Universitaire). Je prends soin de passer différents diplômes FFF & UEFA, entre autres afin d’accompagner au mieux les étudiants dans cette indispensable démarche de certification.
Votre thèse porte sur la sociohistoire de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) dans le football professionnel français. Pourriez-vous nous expliquer votre intérêt pour ce sujet et les enjeux de vos recherches, tant pour vous personnellement que pour le monde de la recherche et le grand public?
Spontanément, lorsque nous avons abordé la question du rapport au football, j’ai tout d’abord évoqué ma pratique de joueur et d’entraîneur, bref, la passion. Je n’ai pas directement mentionné ma thèse sur l’arbitrage car elle est arrivée dans un second temps, relevant de la raison. J’essaye de transmettre une vision systémique du football. Or, l’arbitrage n’est pas assez mis en lumière et j’avais le pressentiment que des axes de progression au niveau de la formation et de la performance pouvaient se dégager grâce à une meilleure compréhension de cette zone d’ombre.
Suite à mon parcours à l’ENS, j’ai pu réaliser une thèse qui porte sur la professionnalisation de l’arbitrage français en général (dirigée par Yves Morales & Philippe Terral). Plus particulièrement, il s’agissait d’analyser l’implémentation d’un outil nouveau pour les arbitres : l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR). Ce doctorat s’inscrit dans un cadre socio-historique attentif aux controverses et aux jeux de savoir-pouvoir autour de l’innovation numérique. En 2018, l’apparition de la VAR m’avait semblé être un sujet riche d’enjeux qu’il semblait intéressant d’approfondir, qui avait peu été documenté en France.
Comme beaucoup de joueurs et d’entraîneurs, j’avais une relation assez tumultueuse avec les arbitres. Finalement, pendant quatre ans, j’ai appris à découvrir ces acteurs indispensables du football. J’ai appris à les respecter, à mieux comprendre leurs dilemmes. La question de départ de la thèse ambitionne d’analyser dans quelle mesure la VAR reconfigure l’activité arbitrale et donc le jeu, tout en démontrant que l’arbitrage a une vraie importance dans la performance. En football, les entraîneurs et les joueurs ont tendance à négliger cette dimension pragmatique.
Pour Juan Manuel Lillo « le meilleur et unique livre de tactique qui existe, c’est le règlement ». Pourquoi ? Parce que c’est l’unique référentiel qui détermine les contraintes qui doivent être respectées par les participants et doit leur permettre d’imaginer le possible. En ce sens, une bonne maîtrise des Lois du jeu et son exploitation, permettrait aux joueurs et aux entraîneurs d’obtenir un avantage stratégique et tactique certain. La Formule 1 et les sports automobiles en général sont des exemples intéressants, car la compréhension des réglementations techniques, mais surtout leur exploitation constante, peuvent faire gagner ou perdre un championnat du monde. Cependant, en football, cette exploitation dans un but d’optimisation de la performance collective, semble quasi inexistante.
En football, il existe 17 lois du jeu, auxquelles nous pouvons ajouter une 18ème loi, qui est un peu particulière, car elle touche à la VAR. Ces lois sont à la base de la formation des arbitres et ils les connaissent parfaitement. En revanche, les autres acteurs du jeu, en premier lieu les entraîneurs et les joueurs, ne les connaissent pas toujours. Ces lois sont strictes mais leur application nécessite des marges de manœuvre.
Arbitrer, c’est dialoguer finement entre l’application stricte d’un règlement et son interprétation en fonction d’un contexte, d’une situation. C’est la fameuse dialogique, pour parler comme Edgar Morin, entre la loi et l’esprit de la loi. C’est ce qu’incarne parfaitement la règle de l’avantage, qui est pour moi, l’une des plus belles activités arbitrales. Au lieu de siffler instantanément, sans prendre en compte le contexte, l’arbitre sent le jeu et laisse l’avantage à l’équipe en possession du ballon. Certains buts sont marqués de cette manière, grâce à un arbitrage sensible, au plus près de la dynamique du jeu et de l’histoire du match.
L’activité arbitrale est donc complexe, elle est fine. Il faut connaître un copieux règlement qui est évolutif et ensuite l’appliquer dans des contextes qui sont parfois difficiles, notamment parce que les éducateurs ne sont pas toujours respectueux de l’autorité. Nous pourrions nous dire que ce n’est pas leur faute s’ils ne sont pas formés. Cependant, dans les premières formations FFF d’entraîneur professionnel (BMF, BEF), il existe des modules arbitrage. Leurs effets restent insuffisants. Que pourrait-on mettre en place pour que les Lois du jeu deviennent un véritable référentiel commun, partagé par les différentes parties prenantes, plutôt qu’un objet de polémique ? Délicate question et je n’ai que des pistes de réponse qui ne suscitent que très peu la curiosité des acteurs décisionnaires.
De mon point de vue, en football, il y a une forme de résistance, une imperméabilité à ces connaissances sur l’arbitrage. Certains acteurs majeurs (présidents de club, entraîneurs, consultants TV) se complaisent parfois dans une forme de médiocrité en clamant que les arbitres ne connaissent pas le football. Ils préfèrent ne pas s’en préoccuper, voire les rabaisser. Sur ce thème, le rugby a un temps d’avance sur le football. De nombreuses équipes de Top 14 font appel à d’anciens arbitres professionnels pour renforcer leurs staffs (exemple: Romain Poite au RC Toulonnais entre 2022 et 2024).
Au quotidien, ces hommes en noir reconvertis ont cette activité de formation à l’arbitrage et l’idée d’exploiter le règlement rugbystique pour la performance collective. Parce qu’il y a évidemment une logique stratégique. La métaphore des sports automobiles est très pertinente de ce point de vue-là : on peut rester dans les règles tout en les exploitant, à condition de les maîtriser parfaitement et de rester calme. En football, cette idée d’exploiter les anciens arbitres commence à peine à émerger. Le pionnier a été Frank Schneider au Racing Club de Strasbourg, avec les pros comme au sein de l’Académie dans une visée éducative. Il travaille aujourd’hui avec l’Olympique de Marseille de manière ponctuelle.
On peut aussi noter la nécessité d’accentuer l’effort d’ouverture de la Direction Technique de l’Arbitrage (DTA). Durant ma thèse, j’ai pu collaborer avec la DTA, qui m’a donné l’accès aux arbitres de Ligue 1 et de Ligue 2, dans le cadre de cette recherche-action. C’est-à-dire un protocole connecté aux enjeux du terrain. Un des résultats pointait le manque d’accompagnement psychologique des arbitres de l’élite, la VAR augmentant la charge cognitive. La DTA a fait appel par la suite aux services d’un préparateur mental. Avec des collègues, nous avons aussi montré une certaine invisibilité médiatique du corps arbitral, ou du moins une visibilité réduite aux polémiques.Tout récemment, la DTA a mobilisé Mickaël Landreau pour mieux faire comprendre les décisions arbitrales et aussi parler à l’écran des performances exemplaires. Contrairement à l’imaginaire français, nous formons de bons arbitres. Le coup de sifflet de Clément Turpin est reconnu au niveau européen et mondial (alors qu’il est parfois décrié dans l’Hexagone).
Selon vous, quel est le rôle de l’arbitre dans le football moderne?
Pour répondre à cette question, notons d’abord que la littérature en Sciences Humaines et Sociales (SHS) est en expansion sur l’arbitrage. Par exemple, Alexandre Perreau-Niel, ancien arbitre de Ligue 1 (qui est aussi professeur d’EPS), a mené à bien une thèse en sociologie sur le dispositif Section Sportive à Filière Arbitrage (SSFA). D’autres collègues mobilisent une approche historique, d’autres planchent sur la dimension collective de l’arbitrage ou bien encore sur sa lente féminisation.
Ensuite, pour décrypter ce rôle, il faut sortir de la représentation qui voudrait que l’arbitre soit un shérif qui fait la loi au Far-West. Selon les niveaux, c’est une activité qui se fait à trois, à quatre, voire plus, avec les arbitres VAR. Les arbitres utilisent des outils comme les oreillettes, les drapeaux BIP, afin de pouvoir interagir entre eux. Le petit bémol, c’est qu’aujourd’hui, les arbitres assistants pourraient peut-être avoir un peu plus de pouvoir pour juger des fautes, des penaltys.
Idéalement, dans les niveaux Ligue 1 / Ligue 2, on est vraiment sur une relation à trois, un travail collectif. Toutefois, cette coordination demeure parfois trop hiérarchique, les assistants, même quand ils sont mieux placés, ne veulent, ou ne peuvent, influer. Sur les niveaux amateurs, il y a encore souvent des arbitres centraux qui fonctionnent de manière solitaire et les assistants ne sont là que pour signaler les touches et les hors-jeu. A l’image du futsal ou du basket, je trouve que le co-arbitrage, avec une logique plus horizontale et moins verticale, pourrait être vertueux. Les arbitres de surface installés entre 2009 et 2018 par l’UEFA constituaient à mon sens un bonne innovation humaine, sauf qu’on ne lui a pas donné la possibilité de se déployer et de s’affiner. La pression médiatique pour l’assistance vidéo pesait déjà.
En outre, le rôle d’arbitre requiert aussi des caractéristiques d’athlète de très haut niveau, avec une capacité à répéter des sprints à haute intensité qui est parfois égale ou supérieure à celle des joueurs. De plus, c’est une activité qui nécessite une intelligence émotionnelle et une élégance relationnelle qui sont transférables au monde du travail contemporain. La FFSU et les STAPS forment de plus en plus les étudiants à l’arbitrage car les compétences psycho-sociales qui y sont développées contribuent à mieux enseigner, entraîner, manager.
En côtoyant de nombreux arbitres durant les quatre années de mon travail de thèse, en effectuant de multiples entretiens avec eux, j’ai découvert une jeune corporation qui est souvent mal comprise, mais qui est composée par des hommes et des (rares) femmes ayant de grandes qualités intellectuelles et humaines. Au passage, différentes observations de terrain me permettent de dire que, sur un bon match amateur, mettons de N3, les hommes s’autorisent moins d’agressivité sur le corps arbitral lorsque celui ci est dirigé par une femme. La mixité semble une piste prometteuse pour les arbitres.
Vous mettez en avant trois compétences nécessaires à l’arbitre: la connaissance du règlement, son adaptation en situation et la communication des décisions. Pourriez-vous développer ces trois aspects, en insistant sur l’importance du langage corporel dans la communication de l’arbitre?
Avec mes collègues Jean-Nicolas Renaud, Olivier Chovaux et Alexandre Joly, nous avons effectivement travaillé sur les compétences psychosociales, que l’on appelle également soft skills, des arbitres. Nous avons identifié un certain nombre de verbes d’action que nous avons associé à la fonction d’arbitrage. Arbitrer c’est donc : décider rapidement et sous pression, communiquer la décision en interne (avec les différents membres du corps arbitral) et en externe (à destination des autres acteurs du jeu) et enfin, l’assumer.
La notion qui va englober ces trois verbes d’action, c’est l’assertivité. C’est l’art de trancher rapidement, avec efficacité et d’assumer comme un homme ou une femme debout cette prise de décision. L’arbitre, comme le magistrat, va devoir décider rapidement et opérer, en son âme et conscience, pour servir une cause d’intérêt public : maintenir l’ordre. Mais c’est aussi une cause liée au spectacle : le bon arbitre laisse jouer, comme en Angleterre.
Concernant la communication non verbale, les joueurs et les entraîneurs aiment les arbitres qui sont sûrs d’eux, qui sont assertifs et qui prennent leur décision de manière ferme. Pour autant, ils n’aiment pas avoir à faire à des robots. La chaleur humaine, l’usage du sourire, de la tactilité, de l’humour, sont appréciés. L’exemple d’un arbitre comme Gaël Angoula, ancien rugueux défenseur de Ligue 1 qui officie désormais au niveau auquel il a joué, est intéressant. On peut observer qu’il a été formé par la DTA avec un arbitrage très ferme, un visage fermé. Mais parfois, le naturel revient au galop. On peut entrapercevoir le côté humain, l’expertise défensive, la maîtrise des ruses des attaquants, la proximité avec ses anciens collègues joueurs. C’est ce qui fait de lui un excellent arbitre (citons aussi l’ex joueur de Ligue 2 Jeremy Stinat).
Il faut bâtir davantage de passerelles pour faciliter la reconversion de joueurs de haut/bon niveau vers l’arbitrage et être vigilant à ne pas couper du jeu les jeunes arbitres. Un bon arbitre doit avant tout comprendre le jeu par son vécu de joueur fédéral. Attention à ne pas les spécialiser trop tôt, sous peine d’avoir des experts de l’arbitrage au détriment de l’expertise du football et de son arbitrage, ce qui est différent.
L’arbitre doit-il projeter une image d’infaillibilité ou assumer sa faillibilité? Comment concilier ces deux aspects, notamment dans un contexte où l’utilisation qui est faite de la technologie tend à réduire l’incertitude dans le football?
J’encourage tout le monde à aller visionner sur la toile les compilations de Romain Poite, un ancien arbitre de rugby. Dans ses interactions avec des joueurs de rugby colossaux, il dégage une autorité assez exceptionnelle, notamment grâce à ses facéties et sa chaleur humaine. Il reconnaît ses rares erreurs, assume sa faillibilité, tout en étant un bourreau de travail et un arbitre hyper compétent.
L’arbitre qui est de glace et qui pense qu’il va être respecté de cette manière-là, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne voie. Je suis même certain qu’il est davantage prometteur de former un arbitre qui dialogue, assume sa singularité et travaille avec ses assistants de manière non-hiérarchique. Néanmoins, les officiels ont clairement des consignes de discrétion de la part de la LFP, de l’UEFA et de la FIFA, parce qu’il y a cet adage en football qui veut qu’un bon arbitre, c’est un arbitre qu’on ne voit pas.
Dans le passé, il y a eu des directeurs de jeu fantasques, comme Robert Wurtz ou bien hyper charismatiques, comme Pierluigi Collina. Des individus riches de leur style empreint d’un efficace libre-arbitre. C’est quelque chose dont les instances ne veulent plus, les consignes fédérales poussent à une standardisation des comportements. Il ne faut surtout pas que l’arbitre se fasse remarquer. Cette position-là est difficile pour les arbitres parce qu’avant d’être professionnels (processus encore en cours qui a débuté dans les années 2010), certains arbitres étaient médecins, maîtres de conférences, d’autres avaient des fonctions politiques, bref ils étaient importants pour la société. On leur demande aujourd’hui d’être quasiment invisibles. C’est très difficile de diriger un match de football en ayant cette idée d’invisibilité et de discrétion en tête. Invariablement, il va falloir à un moment donné assumer une personnalité.
De manière générale, il semble qu’il y ait une tendance à vouloir promouvoir l’invisibilité de l’arbitre. Or, celui-ci est un acteur essentiel du jeu, qui contribue à la performance globale. Comment expliquez-vous cette volonté ?
Dans un premier temps, je voudrais souligner le travail de la DTA. Elle est souvent considérée comme une institution un peu hermétique, mais finalement, c’est un réflexe d’autodéfense par rapport à toutes les attaques que les arbitres peuvent subir. La DTA, à l’époque où j’ai fait ma thèse, m’avait ouvert l’accès de Clairefontaine et m’avait donné accès aux arbitres. Elle propose chaque année aux clubs professionnels des formations, de l’échange. La DTA a une volonté d’ouverture, même si bien évidemment tout n’est pas parfait. Cependant, il y a vraiment une volonté pédagogique à la DTA, une volonté de formation.
Mais cette main tendue, les clubs ne la saisissent pas beaucoup. Dans l’écosystème des présidents de clubs professionnels, mais aussi des entraîneurs, il y a encore des attitudes délétères qui font un mal important à notre sport. Lorsqu’un entraîneur de Ligue 1 enrage auprès de l’arbitre, prend des cartons, quand en conférence de presse, sans aucune objectivité, sans aucune connaissance des Lois du jeu, ce technicien “déssoude” le corps arbitral, cela donne un modèle catastrophique pour le monde amateur. Parce que celui-ci opère souvent par mimétisme vis-à-vis des pros. Idem lorsque des acteurs médiatiques s’expriment sur l’arbitrage sans en connaître les subtilités, ou sans considérer sa difficulté. Finalement, tous les efforts de la DTA sont souvent comme soufflés par une tempête à cause de ces attitudes.
Au cœur du système football, cette problématique est endémique et centrale. Dans les autres sports collectifs, ces problèmes sont marginaux. La NBA est intransigeante pour sanctionner les vociférations envers les hommes et femmes en tenue rayée (encore un cas intéressant de co-arbitrage en mixité). Plus encore, j’invoque souvent le cas du rugby car historiquement, ballons rond et ovale ne faisaient qu’un. Le rugby s’est doté d’un arsenal réglementaire redoutablement efficace. Si un joueur conteste, on fait reculer la pénalité de 10 mètres. Si un joueur se comporte mal, il y a un carton jaune qui lui est donné, il sort 10 minutes et pénalise son équipe.
Ce carton jaune qui fait sortir le joueur, s’appelle le carton blanc en football. Il est testé dans de nombreux districts. Alors pourquoi le carton blanc ne serait pas utilisé en Ligue 1 ou en Ligue 2 ? Parce que les équipes finiraient à sept ou à huit, tellement les joueurs sont imprégnés de cette culture de la contestation. Si les stars du championnat prennent des cartons blancs, le spectacle va en pâtir, ainsi que l’image de ces joueurs et de leur club. Les présidents de clubs ne veulent donc pas de ce genre de dispositif réglementaire. Pourtant, à long terme, cela peut aider à réguler les comportements.
D’autre part, il faut aussi être conscient que l’arbitrage peut s’améliorer. J’ai déjà cité quelques pistes (évolution réglementaire, rôle des joueurs reconvertis, de la mixité). Le futsal en constitue une autre. Cette forme de pratique en expansion s’inspire de la logique des sports de salle : temps morts technico-tactique et respect stratégique du règlement. Si l’arbitre principal prend les décisions, le deuxième arbitre qui se déplace sur la ligne opposée a aussi le droit de siffler. Deux autres officiels comptent les fautes, notent les faits de jeu et gèrent le chronomètre et les bancs.
En futsal scolaire et universitaire, on est sur du co-arbitrage, c’est-à-dire qu’il y a deux arbitres qui sont exactement au même niveau d’autorité et qui se répartissent le terrain. Les différentes règles du futsal (fautes collectives, rapidité des remises en jeu) et cette modalité de co-arbitrage font qu’il y a beaucoup moins de problèmes de discipline en futsal qu’en football à 11.
Le football à 11 devrait chercher à évoluer avec des idées comme celles du rugby ou du futsal au lieu d’espérer que l’innovation numérique ne règle tout.
L’utilisation de la technologie, notamment la VAR, a-t-elle pour objectif de limiter l’incertitude dans le football? Quel regard portez-vous sur l’introduction de la VAR et son utilisation actuelle? A-t-elle atteint ses objectifs initiaux?
La question est complexe et c’est un sujet clivant. En tant que chercheur, pendant quatre ans, j’ai essayé de l’analyser avec objectivité. Pour ce faire, j’ai eu la chance de pouvoir vivre avec les arbitres, de passer de nombreux entretiens avec ceux qui sifflent en Ligue 1, Ligue 2. Le premier résultat de recherche a montré qu’au-delà du discours officiel (“la VAR améliore le football”), beaucoup d’arbitres sont tiraillés. Ils sont dans une forme d’incertitude par rapport à cet outil. Ils ont l’espoir que la VAR s’ajuste avec le temps tout en pressentant la crainte d’une déshumanisation de leur activité. En sociologie de l’innovation, cette oscillation espoir/crainte est classique.
Maintenant, je vais me risquer à un avis tranché. Le sociologue Bruno Latour disait d’ailleurs que faire des sciences sociales, c’est aussi savoir défendre des idées fortes. Donc, après ces années de recherche et près de sept ans de VAR dans le football, je pense que c’est un dispositif dont nous aurions pu nous passer.
Nous aurions peut-être pu assumer ce particularisme d’un arbitrage sanctuarisé, préservé de cette technique numérique qui envahit tout, perpétuant ainsi le succès planétaire d’un sport riche des émotions et aléas qu’il génère, fort de sa glorieuse incertitude.
Entendons nous bien, le numérique sauve des vies dans le domaine de la santé, est utile pour nos militaires, dans bien d’autres aspects de la vie sociale et il est efficace pour optimiser l’entraînement. L’analyse vidéo est par exemple une arme indispensable (pour les arbitres comme pour les staffs et joueurs). La vidéo en amont et en aval de la rencontre est devenue une nouvelle fonction qui constitue un débouché prometteur pour nos étudiants STAPS (Cf. article co-écrit avec mes collègues occitans Simon Isserte & Olivier Cavailles). Mais il ne faut pas toucher le cœur du jeu, le terrain. Il faut préserver l’instant du match. L’écrivain-voyageur Sylvain Tesson a raison lorsqu’il dit que les gadgets numériques sont omniprésents et aliénants, d’autant plus agaçants que parfois incontournables. Dès lors, il est urgent de délimiter des espaces et moments entièrement déconnectés et le match en était un.
Le football a décidé de plier, comme d’autres sports, face au numérique. Le problème, c’est que ces autres sports, notamment les sports américains ou le rugby, sont des sports de séquences. Ce sont des sports qui sont saccadés par nature. Il y a des temps morts, des arrêts de jeu, etc. Ces intermèdes laissent de la place à l’assistance vidéo. En revanche, le football est un sport qui a basé son succès sur un rythme continu dans lequel on intercale désormais des intermèdes VAR lors des arrêts de jeu, tant bien que mal.
Cela provoque beaucoup de pression pour les arbitres qui doivent décider rapidement. Les processus de la VAR sont relativement efficaces et c’est un dispositif qui règle un certain nombre de situations, mais il subsiste un certain nombre de zones grises. Les éclairer relève d’un impossible qui est, de surcroît, chronophage. Dans certains cas, nous pouvons mettre dans un amphithéâtre 100 arbitres compétents, leur projeter une action isolée et il y aura toujours 100 perspectives différentes. Il est illusoire de penser que la VAR peut trancher toutes les zones grises. Seule une équipe arbitrale in situ peut juger d’une action qui relève avant tout d’un contexte singulier. D’autre part, l’arbitre assertif sait qu’il ne fera jamais l’unanimité. La VAR repose sur une fausse promesse d’accord consensuel. Arbitrer, c’est comme entraîner ou enseigner, on fait toujours des mécontents.
La FIFA notamment avait communiqué sur les promesses d’une VAR quasi infaillible. Les chiffres mis en avant par les institutions montrent que la VAR a permis de résoudre un certain nombre de situations, mais est-ce que, pour autant, les situations litigieuses ont disparu ? Est ce que les arbitres sont mieux perçus ? Est-ce que les comportements envers les arbitres se sont améliorés ? Je pense que l’on peut clairement répondre par la négative à ces questions. Parfois, j’ai même l’impression que cela empire.
La technologie était déjà un outil de coordination et d’aide à la prise de décision au service des arbitres, notamment à travers les oreillettes et les drapeaux BIP. Concernant la VAR, qu’est ce qui pourrait être mis en œuvre si son utilisation entrait en contradiction avec l’esprit du jeu ? Plus largement, comment penser l’innovation technologique, tout en préservant la dimension humaine du football ?
Les instances légiférantes (notamment l’IFAB au sein de laquelle la FIFA exerce une emprise croissante) auraient pu s’en tenir à la Goal-Line Technology (GLT). Lorsque la FIFA a introduit la GLT entre 2010 et 2014, elle avait clairement cette volonté de s’en tenir à cette innovation technologique et de ne pas aller plus loin. C’est un dispositif binaire : le ballon a franchi la ligne, le ballon n’a pas franchi la ligne. Hormis quelques bugs qui ont existé et qu’il faut souligner, la GLT est relativement fiable et c’est réellement une aide à l’arbitrage. Sauf qu’elle a ouvert la porte à la VAR, elle a créé un horizon d’attente autour d’un outil numérique simple, efficace. Or, la plupart des actions ne sont pas binaires, elles ne peuvent être jugées que par un acteur in situ.
Actuellement, l’implémentation de la technologie semi-automatique du hors jeu contribue à la surenchère numérique. Les arbitres assistants se sont vu dépossédés de cette compétence. Ils jugent le hors-jeu, mais c’est la technologie qui a le dernier mot. C’est ce qui rend la question épineuse. Est-ce que pour un demi-centimètre, il y a hors-jeu ? Est-ce que ces technologies semi-automatiques de détection sont des vecteurs de vérité ? Est-ce que la vérité, c’est : “je suis hors-jeu pour un demi-centimètre” ou est-ce que c’est l’intention de rester en arrière et d’aller plus vite ensuite que le défenseur qui est fidèle à l’esprit du jeu. Intention qui était d’ailleurs jugée par les arbitres assistants, qui sont formés pour. A l’heure actuelle, la procédure est ubuesque : l’assistant voit le hors jeu mais il ne doit pas lever le drapeau pour laisser le temps aux technologies de traiter les images. L’action se poursuit, au risque de voir des joueurs se blesser en donnant tout, pour rien.
Nous n’avons que peu de recul sur cette technologie de détection du hors jeu. Cela fait seulement deux ans qu’elle est en place. Ce qui est certain, c’est que les arbitres assistants éprouvent une certaine souffrance qu’ils m’ont révélée lors des entretiens semi-directifs. Parce qu’ils peuvent légitimement se poser la question suivante : est-ce que dans 15 ans, nous serons toujours là ? Serons-nous des hommes de paille ? Servirons-nous réellement à quelque chose, au-delà de signaler les touches (ce que peut tout à fait effectuer une Intelligence Artificielle). Penser et anticiper les craintes et espoirs autour de l’IA dans l’arbitrage relève d’un long terme peu investi par les instances techniques, or, il y a urgence à se prémunir de certaines dérives technicistes. Comme la science-fiction le présage parfois, “demain, c’est déjà aujourd’hui” (relevons la BD Hors Jeu, édifiante dystopie footballistique d’Enki Bilal).
D’autre part, la VAR va arriver en Ligue 2. Est-ce que, par la suite, une VAR low-cost arrivera dans les niveaux amateurs, dans le football populaire, avec toutes les problématiques que cela peut engendrer en termes de fiabilité technique, de maîtrise des contenus et contenants, de détournement possible des d’images ? Ce sont des questions qui sont d’actualité parce qu’elles touchent aussi, de manière plus large, à la question de la vidéosurveillance, à la question de surveiller et punir les individus de manière systématique, question qui a été développée de manière novatrice par Michel Foucault (1975).
Avec Tony Chapron, notamment, nous avons mobilisé la pensée foucaldienne pour critiquer la VAR. Pourquoi prioriser la vidéosurveillance numérique alors que nous pourrions plutôt opter pour la dimension humaine et l’éducation civique? Tony Chapron défend ses idées en tant que consultant TV et il est dommage que la DTA ne le sollicite pas dans les formations. J’ai aussi réfléchi avec Frank Schneider sur les aspects de préparation mentale des arbitres. Relativement favorable à une utilisation dosée de la VAR, Frank défend pour sa part l’idée de “griffe arbitrale”, cette singularité dans le style qui n’est pas assez abordée dans le cursus officiel.
Avec ces anciens arbitres, nous partageons une forme d’inquiétude vis-à-vis de ces instruments qui coûtent cher, coût qui poussent ensuite à une utilisation excessive (il faut rentabiliser l’investissement). Une forme d’inquiétude qui est assumée parce que nous perdons la dimension humaine quand nous voulons résoudre des comportements avec ces outils. Ils ont leur utilité, mais ils deviennent aliénants lorsqu’ils sont placés avant la formation, la correction des mauvaises attitudes des entraîneurs et des joueurs.
En théorie, la sonorisation des arbitres, comme cela se pratique en rugby, permettrait une meilleure compréhension des décisions arbitrales. Pourquoi cette solution, qui semble prometteuse, n’est-elle pas retenue en France?
La DTA était favorable à la sonorisation des arbitres. Les expérimentations, comme celle de François Letexier en finale de Coupe de France 2024, étaient concluantes. Cela se passe bien en rugby, c’est très apprécié des téléspectateurs, c’est très pédagogique. Malheureusement, la LFP a finalement décidé de ne pas financer la sonorisation des arbitres pour des raisons économiques. Les expérimentations ont été gelées, ce qui semble démontrer que la priorité n’est pas du tout placée sur la dimension humaine et formative. On préfère financer la VAR pour la Ligue 2 et prévoir des dispositifs d’arbitrage vidéo discount pour la N1, N2 ou pour le foot féminin.
Les présidents de clubs, influents à la LFP, ont refusé la sonorisation car si l’arbitre est sonorisé, tout le monde entendrait ses interactions avec les joueurs, ce qui ne serait pas forcément à l’avantage de ces derniers, parfois injurieux envers celui qui siffle. Cette mise sur écoute des footballeurs ternirait probablement leur image sociale et leur cote de popularité. Peut-être que les clubs vendraient moins de maillots, peut-être que les stades seraient moins remplis, etc. On en revient alors à cette question de la formation.
Formation initiale et continue de coachs et de joueurs qui sont, actuellement, peu ou mal éduqués aux Lois du jeu et à une forme de discipline. J’en reviens aux joueurs de rugby de haut niveau qui ont une attitude souvent respectueuse de l’autorité. Cette vitrine manque au football de l’élite. Dans les milieux amateurs, notamment chez les parents, chez les jeunes, on retrouve au bord du terrain des attitudes qui font un mal énorme à notre sport. Des pseudo éducateurs et/ou des parents hurlent sur les apprentis arbitres en se mettant en scène comme un tel ou un tel. Les jeunes joueurs reproduisent pour leur part les comportements des stars qu’ils voient dans les highlights.
L’amélioration des attitudes des footeux… Voilà une affaire qui demande du temps et un changement de paradigme comportemental. Difficile… C’est un dossier prioritaire du football, mais les instances ne le priorisent pas forcément, trop occupées par des enjeux économiques, médiatiques, technologiques qui ne concernent que très peu de clubs. Même au sein de la Ligue 1, ces enjeux creusent un fossé entre les clubs, ce qui laisse planer la menace d’un football à plusieurs vitesses.
Votre parcours dans le monde du football, en tant que gardien, entraîneur et chercheur, vous a permis de développer une réflexion approfondie sur l’arbitrage et la place de la technologie dans le football. Quels enseignements majeurs sur la nature humaine tirez-vous de ces expériences?
Dès lors qu’il y a des enjeux de compétition, de performance ainsi qu’économiques et médiatiques, les émotions sont exacerbées. Dès lors, il est difficile pour un être humain de garder sa droiture morale. Pourtant, le bon entraîneur doit toujours rester un éducateur. Je vais détailler en mobilisant un zeste de philosophie vulgarisée. L’éducateur ne peut pas passer outre certains principes éthiques supérieurs et se mettre à invectiver l’arbitre. Il y a des acteurs fondamentaux comme le coach, le gardien, le capitaine, le président qui doivent être éthiquement solides. Des fondamentaux devraient être recadrés : obliger les joueurs à serrer la main du corps arbitral, imposer aux éducateurs d’arbitrer un match par mois, sanctionner beaucoup plus durement les dérives physiques et verbales des dirigeants, utiliser le carton blanc à tous les niveaux
Malheureusement, ces enjeux de formation à long terme sont balayés par le court terme des émotions démesurées (hubris) et du culte de la performance à tout prix. Si ce déferlement (catharsis) fait tout le sel de notre sport, l’éducateur doit savoir garder une mesure humaine vertueuse (ethos du kalos kagathos) qui a été détaillée magnifiquement par l’écrivain Albert Camus (notamment dans Le premier homme publié post-mortem en 1994 ; un vrai titre de gardien de but. Le philosophe pied-noir l’a été dans sa jeunesse oranaise).
Pour autant, il existe des joueurs et des entraîneurs qui sont exemplaires sur ce plan. Ce qu’ils veulent, c’est la performance de leur équipe et ils ont compris ce que peut apporter la maîtrise du règlement. Un entraîneur comme Julien Stéphan, que j’ai eu la chance de côtoyer au Stade Rennais, avait un comportement exemplaire avec les magistrats sportifs. Déjà, la dignité de ne jamais excuser une défaite par une cause externe (l’arbitrage). Il avait aussi beaucoup réfléchi à la VAR et comment il pouvait l’exploiter à son propre avantage.
Avec son capitaine, un joueur cadre comme Benjamin André, il avait cherché à être rusé (la métis d’Ulysse). Par exemple en cherchant à sortir le plus rapidement le ballon en touche suite à une faute potentiellement bénéfique aux Bretons (afin que la VAR intervienne plus facilement dans l’oreillette de l’arbitre). Cette logique de respect, tout en essayant d’obtenir un avantage, je la trouve honorable car elle souligne l’aspect stratège de l’éducateur. En tout cas, elle est bien plus constructive que de se rabaisser à prendre à partie l’arbitre.