L’APPRENTISSAGE PAR LA DIFFERENCE

NOS AMIS DE NOSOTROS VOUS ONT PRODUIT UN ARTICLE DE WOLFGANG SCHÖLLHORN de l’université de Mayence sur un apprentissage en opposition à la théorie de la répétition.

Comment expliqueriez-vous l’apprentissage différentiel à quelqu’un qui n’y connait rien ? 

L’apprentissage différentiel, c’est apprendre au travers des différences. Ce qui nous renvoie au philosophe français, Jacques Derrida et « la différance ». Mais, cela vient aussi de la théorie de l’information et du fait que l’on ne peut obtenir une information qu’à partir d’une différence. Ce qui veut dire que ce n’est pas la répétition, en elle-même, qui a de la valeur.

A l’époque où j’ai commencé à développer des idées sur ce sujet, j’ai réalisé énormément de recherches sur la biomécanique (mon doctorat portait sur ce sujet), et nous avons analysé des centaines d’athlètes de classe mondiale : des participants aux Jeux olympiques, des champions du monde, etc. A cette époque, j’avais déjà l’idée de ne pas faire la moyenne de toutes les données collectées, mais d’analyser les données individuellement. Etant moi-même entraineur de haut niveau j’avais pu observer que chaque athlète réagissait de manière différente.

« Bien que chaque athlète fasse des milliers de répétitions, chaque mouvement était différent »

Donc j’analysais les données biomécaniques en observant les comportements individuels et ce que je voyais, c’est : bien que chaque athlète fasse des milliers de répétitions, chaque mouvement était différent. Il ne s’agissait pas seulement du mouvement dans sa globalité, mais aussi en observant les différentes articulations, épaule, coude et autres, nous voyions qu’il y avait toujours des fluctuations.

A ce moment-là, 2 options sont possibles : soit vous vous dites que tous vos athlètes ne sont pas assez bons, parce qu’ils sont incapables de réaliser un mouvement « parfait », soit vous retournez les choses et vous vous dites : « si nous observons des variations chez tout le monde, c’est qu’il y a peut-être une raison ».

Ce que l’on peut très souvent lire dans les livres sur les enfants, c’est que les réflexes sont la base de l’apprentissage moteur. Mais ce qui est très souvent négligé et Esther ThelenBeatrix Vereijken ou encore Beverly Ulrich ont beaucoup travaillé sur le sujet, c’est que les réflexes entravent l’apprentissage des mouvements.

Pourquoi ? Eh bien parce que tant que vous avez un réflexe, vous ne pouvez rien modifier. Prenons l’exemple de la préhension, chez les enfants : si vous mettez le doigt dans la main d’un enfant, celle-ci se refermera involontairement et automatiquement. Donc, tant que l’enfant fera ce mouvement, il ne pourra pas apprendre à bouger ses doigts, indépendamment les uns des autres.

« Une fluctuation offre la possibilité à un système, d’obtenir des informations entre deux événements qui se suivent, en comparant le premier par rapport au second »

C’est en combinant tous ces constats : les fluctuations chez les athlètes de haut niveau, les fluctuations chez les enfants, la physique, mais aussi les êtres vivants qui passent d’un mode à un autre, que je me suis aperçu qu’une fluctuation offre la possibilité à un système, d’obtenir des informations entre deux événements qui se suivent, en comparant le premier par rapport au second. Ce n’est donc pas l’événement qui est important, c’est la comparaison entre les deux.

Lorsque nous acceptons cela et que nous regardons le monde et la nature sous cet angle, nous nous apercevons qu’il y a beaucoup de parallèles. C’est ce qui peut être observé dans l’apprentissage des langues. Prenons la langue française, par exemple. En France, certaines personnes parlent un français « parisien », mais si vous allez au Québec, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, la manière dont le français y est parlé sera totalement différente.

Vous entendrez les différents accents et malgré ces variations, vous comprendrez ce qui se dit. D’ailleurs, ce qui a été observé chez les gens qui parlent plusieurs langues, c’est que plus ils varient entre différentes langues, plus leur langue gagne en stabilité. Il en va de même pour le sport.

« Au lieu d’essayer de réduire ces fluctuations, de frustrer l’athlète en le critiquant tout le temps, je pourrais « augmenter » ces fluctuations afin de lui permettre d’en prendre conscience, d’une certaine manière »

Donc à cette époque, j’entraînais déjà des athlètes de haut niveau et au départ, je me suis dit : « Je vais commencer par observer de jeunes enfants jouer. Puis je me suis dit que je pouvais peut-être transférer l’observation de ce problème à l’échelle d’un mouvement unique. Par exemple, en observant quelqu’un taper dans un ballon de football, je pourrais observer les nombreuses fluctuations inhérentes à ce mouvement et au lieu d’essayer de réduire ces fluctuations, de frustrer l’athlète en le critiquant tout le temps, je pourrais « augmenter » ces fluctuations afin de lui permettre d’en prendre conscience, d’une certaine manière. D’ailleurs, il n’est pas forcément nécessaire qu’il en ait conscience, car l’apprentissage implicite est beaucoup plus efficace que l’apprentissage explicite.

Dès le début, nous avons développé un apprentissage implicite en adoptant une approche totalement différente, une approche basée sur l’apprentissage au travers des différences. Nous avons d’abord élaboré une méthode de reconnaissance des formes (pattern recognition), basée sur les différences et lors de l’une de nos premières expériences, nous avons réussi à identifier une personne en analysant seulement 200 millisecondes d’un mouvement. C’est là que les problèmes ont réellement commencé car, une fois que nous étions capables d’identifier un athlète, d’identifier des athlètes de classe mondiale, lequel allions nous choisir comme modèle ?

Cette méthode de reconnaissance était très sensible, car nous pouvions différencier chaque mouvement réalisé par un athlète. En analysant ces mouvements, nous avons remarqué qu’ils changeaient en permanence, ce qui était problématique car : si nous décidions de prendre un athlète comme modèle mais que celui-ci fluctuait tout le temps, lequel de ses mouvements allions-nous choisir ? Et cela empire car l’athlète fluctue lui aussi ! Comme le modèle fluctue tout le temps et que vous ne fluctuez pas de la même manière que lui, eh bien vous ne savez pas comment vous positionner…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *