LUDOVIC SEIFERT par NOSOTROS

Professeur des Universités à l’UFR STAPS de l’université Rouen Normandie, enseignant-chercheur au laboratoire CETAPS, mais aussi guide de haute montagne, Ludovic Seifert organise ses recherches autour de deux mots-clés: le couplage entre action et perception.L’objectif ? Analyser deux objets dans le sport (et donc le football) : l’apprentissage et l’expertise.

  L’atteinte de l’expertise est un chemin hautement individuel
L’atteinte de l’expertise est un chemin hautement individuel
Pourquoi l’approche dynamique écologique considère l’individu/le joueur ou l’équipe, comme des systèmes complexes adaptatifs ?
Historiquement, la notion de système vient de la théorie de la Gestalt(psychologie de la forme), qui dit que « le tout, c’est plus que la somme des parties ». Lorsqu’il est question de coordination inter-segmentaire (au niveau individuel), interpersonnelle (dans une équipe ou entre plusieurs équipes), cela veut dire que l’équipe, c’est plus que la somme des joueurs qui la composent. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il y a la notion d’interaction qui est fondamentale.
Cela veut dire qu’à un moment donné, dans la relation des joueurs entre eux, des segments entre-eux, des articulations entre-elles ou d’un individu avec son environnement, nous considérons que les interactions sont à la base de la façon dont nous prenons des décisions, dont nous percevons, dont nous nous mouvons et donc, dont nous agissons. Alors, le couplage entre un individu et son environnement ou de deux individus entre eux, est la plus petite unité d’analyse. On ne peut donc pas dissocier un individu de son environnement et essayer de l’analyser en dehors de celui-ci, cela n’a pas de sens. A chaque fois que nous évaluons un joueur, nous devons le faire dans le contexte le plus révélateur de sa pratique, pour que les éléments sensoriels, les informations sensorielles sur lesquels il base son comportement, ses décisions, etc., soient dans son environnement habituel de pratique.
Cela veut aussi dire que si nous mettons quelqu’un devant un écran, que nous lui demandons de regarder un match, afin qu’il nous dise quelle décision il prendra, cela peut être compliqué. En fait, ce qu’il voit, c’est un écran, un match. Il n’est pas sur le terrain, il ne voit pas ses partenaires, il a du mal à appréhender la profondeur et/ou la largeur, etc. Donc, la notion de système met au cœur ces problématiques d’interactions et la notion de complexité. Elle montre à quel point nous ne pouvons pas supprimer ces interactions ou que nous ne pouvons pas dissocier les éléments qui constituent le système et qui interagissent. Nous ne pouvons pas couper une interaction en deux ou étudier les éléments séparément. Pourquoi ? Parce que dans l’interaction, il y a cette notion de codéfinition. Dans un système complexe adaptatif, l’adaptation vient de la codéfinition des éléments entre eux. Il y a une forme de réciprocité, de mutualité, l’un déterminant l’autre, c’est quelque chose de cyclique. C’est une boucle.
« A chaque fois que nous évaluons un joueur, nous devons le faire dans le contexte le plus révélateur de sa pratique, pour que les éléments sensoriels, les informations sensorielles sur lesquels il base son comportement, ses décisions, etc., soient dans son environnement habituel de pratique. »

En sport collectif, il y a beaucoup d’analyses qui sont réalisées sur ce que nous appelons les SNA (Social Network Analysis), où les réseaux de passes, les réseaux de communication entre les individus, etc., sont analysés. Nous partons du principe que ces réseaux de passes peuvent être unidirectionnels, mais la plupart du temps, ils sont bidirectionnels. Dans une équipe, nous allons pouvoir analyser le nombre d’individus concernés dans un réseau, relativement au nombre d’individu total. Nous regarderons le nombre de communications, si elles vont prioritairement dans un sens ou dans les deux sens, avec un individu ou avec un autre individu pour finalement, essayer de voir la prévalence d’un individu. Nous pourrons identifier les individus qui sont incontournables dans une équipe (par qui le ballon passe tout le temps), puis ceux qui sont plutôt en bout de chaîne, qui sont plutôt à la conclusion des actions, par exemple. Cela permet d’étudier le comportement d’un réseau. On va dire que c’est une belle illustration d’un système complexe adaptatif.
« La capacité d’un système, c’est de s’adapter aux contraintes qu’il rencontre et qui sont fluctuantes. »
Après, ce réseau, il n’est pas forcément rigide, ni dans son fonctionnement ni dans sa structure. Une équipe composée de cinq joueurs, peut se structurer en 2-1-2, en 1-2-2, en 1-3-1, etc. Cela veut dire que l’équipe peut changer sa configuration spatiale, donc changer sa structure sur le terrain, elle peut passer d’une défense individuelle à une défense de zone… Cela montre la capacité d’une structure à s’adapter en fonction de son environnement et l’environnement, là, c’est l’équipe adverse, c’est l’évolution du score, c’est l’évolution de la fatigue, etc. La capacité d’un système, c’est de s’adapter aux contraintes qu’il rencontre et qui sont fluctuantes.
Source : Yann Kervella
Petit coup d’œil sur le travail d’optimisation des CPA coconstruit par Yann Kervella (DTR Bretagne), l’encadrement du centre de formation du FC Lorient et leurs joueurs.

Focus
 :Respect de la singularité motriceRecherche de la frappe référence (pattern personnel de performance)Seuil de vitesse > 100km/h mesure radar—  Ligue de Bretagne x FC Lorient : optimisation des CPA

P.-S. – En complément, si vous n’avez pas encore lu notre entretien avec Yann, je vous le recommande vivement.

P.-P.-S.  – En complément, du complément précédent, si vous n’avez pas encore lu notre entretien avec Régis Le Bris (FC Lorient), je vous le recommande aussi vivement.
Petit coup d’œil sur le travail d’optimisation des CPA coconstruit par Yann Kervella (DTR Bretagne), l’encadrement du centre de formation du FC Lorient et leurs joueurs.

Focus
 :Respect de la singularité motriceRecherche de la frappe référence (pattern personnel de performance)Seuil de vitesse > 100km/h mesure radar—  Ligue de Bretagne x FC Lorient : optimisation des CPA

P.-S. – En complément, si vous n’avez pas encore lu notre entretien avec Yann, je vous le recommande vivement.

P.-P.-S.  – En complément, du complément précédent, si vous n’avez pas encore lu notre entretien avec Régis Le Bris (FC Lorient), je vous le recommande aussi vivement.
Accompagner l’étrangeté, qui est source de performance
Au football, la frappe de balle semble être l’arme indispensable du footballeur, comment vous êtes-vous intéressé à ce sujet et comment caractériseriez-vous une frappe de balle de qualité ? 
En préambule, il faut revenir sur ma représentation de l’activité. En 1990, dans le cadre du double cursus universitaire et fédéral que je visais, j’ai fait la rencontre déterminante de Jean-Claude Trotel, enseignant de football à l’UEREPS de Rennes.  J’ai été conquis par son approche du déséquilibre collectif. J’ai toujours plaisir, depuis cette découverte du sens de l’activité, à voir des équipes de haut niveau ou des équipes de jeunes, évoluer avec cette sensibilité du jeu de contrepied. Ce principe d’utilisation du mouvement des adversaires pour jouer à l’inverse de leurs orientations de courses ou d’appuis, soit par la passe, la conduite, le dribble ou la course, est de mon point de vue, l’essence du football.
Plus largement, ma conception embrasse celle d’un jeu basé sur une connexion permanente au mouvement des adversaires et aux courses des partenaires pour saisir les opportunités d’espaces de progression émergents ou les créer, les provoquer. Cela implique de « jouer » avec l’adversaire, de le manipuler. Manipuler c’est attirer, mettre en mouvement, donner de la vitesse et une direction à l’adversaire pour l’exploiter prioritairement à contresens. Jouer à l’inverse, c’est « annuler » les efforts défensifs de l’adversaire, le mettre à l’arrêt. Les passes dans ce modèle sont valorisées.
« Ce principe d’utilisation du mouvement des adversaires pour jouer à l’inverse de leurs orientations de courses ou d’appuis, soit par la passe, la conduite, le dribble ou la course, est de mon point de vue, l’essence du football. »
Elles sont, dans le cadre de l’élimination, soit masquées ou « informationnelles » et retardées. Masquées pour cacher l’intention et retardées parce que la lecture continue des rapports de vitesses et de direction peut voir s’offrir au dernier moment de nouveaux espaces exploitables et pertinents, accentuant le champ des possibles en termes d’alternatives et de variétés d’angles. « Informationnelles » signifie, à l’inverse des masquées, que l’on annonce une passe ou que l’on fait semblant.
La feinte est indissociable de cette création d’incertitude dans la passe ; je donne de l’information avec un armé important et une orientation de corps particulière soit pour envoyer un message de frappe et faire autre chose (conduite, dribble…), soit pour faire croire à une orientation spécifique de passe et en réaliser une autre au dernier moment. Tromper l’adversaire par la passe en utilisant son « inertie » avec une volonté de maintien d’une incertitude permanente évènementielle et temporelle, soit en cachant l’information soit en transmettant de fausses indications, c’est l’intention qui doit primer.
La situation de compétition est pour le joueur le repère, le lieu de prise de conscience du sens et du ressenti physique de l’intention de contrepied, entraînant de facto l’émergence de nouvelles modalités d’interactions ainsi que d’opportunités croissantes en lien à ce mode structurant de perception de l’environnement.
« Manipuler c’est attirer, mettre en mouvement, donner de la vitesse et une direction à l’adversaire pour l’exploiter prioritairement à contresens. »
Jean-Claude Trotel a aiguisé mon sens de l’analyse de mes pratiques, m’a sensibilisé à la nécessaire observation outillée du jeu. Dès lors, je n’ai eu de cesse de faire progresser mes pratiques de terrain à la lumière de l’analyse des réussites des joueurs experts en compétition, donnant le sens de l’évolution du jeu et ouvrant la voie de l’enseignement de nouveaux principes ou de solutions innovantes aux futures générations.
Mes besoins d’entraîneur m’ont amené très tôt sur le terrain de l’analyse des motricités des joueurs de haute performance en réponse à la nécessaire utilisation de balles rapides pour le franchissement de l’adversaire en jeu et pour l’accès à la cible. Observant une dissonance au milieu des années 90 entre les formalisations des techniques de frappes de balle et les réalisations des meilleurs passeurs et frappeurs du moment, je me suis attaché à identifier les habiletés du haut niveau sur ce registre, au travers d’observations en compétition de joueurs experts et de jeunes en formation, doublées de séries d’entretiens d’explicitation post-match, pour en extraire les fondements techniques transmissibles. Par motricité, j’entends les habiletés motrices des joueurs sous-tendues par deux aspects indissociables : la réalisation observable (ou enchaînement gestuel) et la direction intentionnelle de l’action initiée.
La rencontre en 2008 avec Bertrand Théraulaz et Ralph Hippolyte, cofondateurs d’Action Types et experts de référence sur le domaine des préférences motrices, a apporté une dimension supplémentaire à ma culture motrice. Mes modélisations personnelles sur les styles de frappes de balle, en allers-retours terrain / réflexion « outillée », entraient en résonance forte avec leurs travaux. La formation à leurs côtés a renforcé mes convictions sur l’approche individualisée de la motricité.
Enfin, Gérard Houllier a été le DTN qui m’a initialement fait confiance et ouvert les portes de l’encadrement des Sélections nationales garçons en qualité d’adjoint auprès de Patrick Gonfalone (U16, U17, U20), en qualité de référent Coups Francs Directs (CFD) avec les Espoirs sous la houlette de Erick Mombaerts et enfin d’intervenant avec Jean-Claude Lafargue à l’INF Clairefontaine sur le sujet de l’optimisation des CFD également. J’ai eu l’opportunité au travers de ces missions de travailler sur les problématiques de coaching technique avec de futurs internationaux A et de valider ma démarche personnalisée de développement des motricités de jeu combiné et de CPA. Les visions respectives de ces experts passionnés m’ont conforté dans mes directions de travail et chacun d’entre eux a eu un impact sur ma trajectoire d’éducateur – entraîneur – chercheur.
« Tromper l’adversaire par la passe en utilisant son « inertie » avec une volonté de maintien d’une incertitude permanente évènementielle et temporelle, soit en cachant l’information soit en transmettant de fausses indications, c’est l’intention qui doit primer. »
C’est avec cet arrière-plan de connexion systématique des réponses d’orientation du jeu avec les solutions motrices correspondantes, dans une approche dynamique des coordinations motrices (Nikolai Bernstein,James J. Gibson), que je coconstruis en Bretagne, sous le patronage de Hubert Fournier, notre DTN, des expérimentations sur le champ du développement de contenus d’optimisation des frappes de balle avec les Directeurs des structures territoriales du Projet de Performance Fédéral (PPF). Dans le cadre de mes missions, je collabore de façon très étroite avec Régis Le Bris, Directeur du Centre de formation du FC Lorient depuis 2014, sur les problématiques d’optimisation technique de ses joueurs et sur la modélisation de la place du travail technique dans son dispositif de performance.
L’idée de départ de l’interaction est de trouver, en fonction du projet de jeu de la structure, les zones d’émergence des espaces d’élimination de l’adversaire (désignés parfois par l’expression significative de zone de lumière) par le contrepied et que chaque joueur – joueuse, dans sa (ou ses) zone(s) d’évolution, perçoive consciemment ces espaces et développe un large spectre de trajectoires pertinentes d’exploitation de ces espaces au regard des configurations qu’il a ou aura à gérer. L’objectif final étant de faire autorité dans sa (ou ses) zone(s) en maîtrisant des enchaînements gestuels adaptés et adaptatifs permettant de réaliser toutes les trajectoires requises. Le sujet, passionnant, est toujours ouvert ! Le modèle se formalise progressivement en cohérence avec l’évolution du projet global piloté par Régis Le Bris.
J’accompagne également le Stade Brestois 29 depuis cette saison, sur la thématique des frappes de balle de vitesse au poste, en lien au profilage moteur, à la demande de Nicolas Mariller Directeur du Centre et de Johan Ramaré. Enfin, je travaille avec nos deux Directeurs de Pôles espoirs masculin et féminin, Claude (Coco) Michel et Anthony Rimasson sur ces mêmes problématiques.
Pour répondre désormais à la question, une frappe de balle efficace, dans ma conception, est celle qui atteint le partenaire avec un compromis vitesse / précision optimal et permet une exploitation aisée, efficiente du ballon par le receveur dans le cadre du projet en continuité de déséquilibre de l’adversaire, ou tout simplement l’atteinte de la cible et la marque pour une motricité d’attaque du but. J’associe généralement cette « frappe efficace » aux moments déterminants du jeu que constituent l’accès aux espaces de franchissement de l’adversaire et au but, parce que ce sont ces deux temps du jeu qui posent de façon incontestable et prégnante la problématique de conflit vitesse / précision. Ces configurations posent effectivement la condition sine qua non du jeu de vitesse, de la vitesse de balle.
Le critère commun de réussite de ces frappes est la production d’une trajectoire à haute vitesse avec maintien du contrôle, du degré de précision. Le joueur doit être capable de maîtriser à son poste un bouquet de trajectoires de balle rapide répondant à une variété d’angles, d’orientations et de distances.
« L’élément corrélé massivement à la réussite d’une passe de franchissement de l’adversaire en compétition, est l’arrêt du pied de frappe à l’impact »
Mon travail de thèse (2002) a validé scientifiquement que l’élément corrélé massivement à la réussite d’une passe de franchissement de l’adversaire en compétition, quelle que soit la zone de terrain et le type de configuration (jeu intérieur, jeu couloir, débordement / centre ou renversement de jeu) chez les experts professionnels comme en préformation, réalisation posant la capacité de production de hautes vitesses de balle, est l’arrêt du pied de frappe à l’impact (label « fixée »).
L’étude a également garanti l’efficacité pour les distances d’élimination les plus lointaines de l’arrêt du pied de frappe immédiatement après l’impact (label « fixée retardée », l’observable étant que le pied de frappe finit son chemin sous le niveau du genou de la jambe d’appui). L’efficacité d’une frappe est donc liée à l’invariance de fin de geste. Ce principe est toujours d’actualité pour la haute performance. Il n’existe par conséquent pas de modèle gestuel de réussite. Les préférences motrices corroborent ce constat.
REFLEXION
« Si vous devez planifier un futur se trouvant au-delà de ce qu’il vous est possible de prévoir, planifiez la surprise. Cela signifie, comme le conseille Richard Danzig, de planifier l’adaptabilité et la résilience. »

 Philip Tetlock

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